Cette jeune rennaise d'adoption, Léa Muna de son nom de plume, a en effet achevé le cycle - ce fameux travail du fond et de la forme d'un roman complet avec l'aide du regard de plusieurs bêta-lecteurs - des pas moins de 709 000 signes de Habikouni.
En juin 2008, Tsumïre entrait en cycle après plus de sept mois de fréquentation assidue du forum de CoCyclics, de bêta-lectures et de travail sur extraits ; en cette fin 2010, c'est une page qui se tourne. En attendant de lire le chapitre qui suit, Tsumïre a accepté de répondre à quelques questions sur son cycle, son roman, son rapport à l'écriture et quelques autres petites choses fort intéressantes.
-Bonjour Tsumïre, et merci de te prêter au jeu de l'interview ! Tout d'abord, qu'est-ce que ça fait d'avoir cette estampille, surtout pour un projet en route depuis longtemps ? (note : Habikouni est entré en cycle en juin 2008)
C’est une première victoire d’être parvenue à l’estampille. Je me sens un peu vide, comme dépossédée, mais c’est un signe indéniable de soulagement. Durant un temps, j’ai cru ne jamais voir le bout de ce cycle. Cette époque me semble si loin, à présent, car j’essaye de me concentrer sur de nouveaux projets. Ne pas m’endormir sur mes lauriers, soit par complaisance, soit par crainte des nouvelles épreuves. Je compte profiter de cette bonne dynamique pour poursuivre mes efforts sur la suite de Prélude à l’Aube et sur un autre projet, un one-shot cette fois.
-Revenons un peu en arrière, si tu le veux bien. Comment as-tu connu CoCyclics ? Comment écrivais-tu avant ? (seule, ou peut-être en atelier d’écriture ?)
J’ai commencé mes premiers écrits avec mon père. Je lui dois le goût des mots mais, malgré un soutien très motivant de ma famille, j’écrivais seule avant mon arrivée au sein de CoCyclics. L’idée de participer à un atelier ne m’avait jamais effleurée, en réalité. Pour être sincère, à cette époque, l’écriture n’était qu’un de mes nombreux centres d’intérêt. C’était une compagne discrète, légère, jusqu’à ce que le projet de Prélude à l’Aube vienne me hanter l’esprit. Mais j’ai commencé cette histoire avec la même frivolité que mes anciens écrits, en me laissant porter tout simplement. Habikouni, anciennement L’ombre des shan’aars, est le premier volet de ce cycle en trois temps, nommé Prélude à l’Aube.
Ma rencontre avec CoCyclics date maintenant de plus de trois ans. Je venais de terminer les corrections de la première version de Habikouni. Comme j’écrivais seule, je voulais confronter mon texte à des avis extérieurs. Je me doutais que le regard des lecteurs serait différent de mes intentions d’auteur, mais j’ignorais à quel point cela était vrai. Un membre d’un forum m’a conseillé La mare aux nénuphars, en me vantant les avis riches et détaillés qui y fourmillaient. Je me suis inscrite aussitôt !
Si la rédaction de Habikouni s’est effectuée dans la légèreté, voire l’insouciance, j’envisageais déjà une révision sérieuse du projet. C’est dans les eaux de la mare que j’ai découvert, par exemple, les bienfaits d’un synopsis, la gestion des points de vue, l’art des dialogues, etc. Des clés qui m’auraient sans doute été d’une aide précieuse lors de la rédaction de Habikouni.
- Peux-tu toujours écrire dans l'insouciance et la légèreté ?
Catégoriquement non pour tout ce qui concerne Prélude à l’Aube. Ce temps est révolu, mais j’ai bon espoir de retrouver cette petite jeunesse avec de nouveaux projets.
Silaë et Vent Sombre mis en image par l'auteur
- La place de l'écriture, dans ta vie en général et dans tes loisirs, a-t-elle changé au cours de ces dernières années ?Oui, en effet. J’aime toujours autant chacun de mes loisirs, mais l’ordre des priorités avec lequel je répartis mon temps a changé ; l’écriture est à présent en-tête de liste.
Je crois, néanmoins, qu’il faut placer cette tendance dans son contexte : Prélude à l’Aube n’est plus un simple loisir à cause de mon investissement. Par conséquent, mes attentes, mes espérances, sont différentes de mes autres centres d’intérêt. L’approche d’un sportif de haut niveau sur sa discipline varie de celle d’un amateur car, indépendamment du plaisir qu’ils ressentent tous deux, les enjeux ne sont pas les mêmes. Ce cheminement s’est produit dans mon rapport à l’écriture depuis les deux dernières années. J’essaye de me donner les moyens d’aller au bout de moi-même bien plus que je ne le ferais pour mes autres loisirs, même s’ils me sont toujours précieux.
- Et un de ces moyens est de tenter un cycle CoCyclics ! Mais pourquoi, à l'époque, soit avant que l'écriture et en particulier Habikouni ne prenne cette place de choix dans ta vie, soumettre ton roman en cycle ? Avais-tu des réticences ou des appréhensions ?
Mon premier extrait proposé sur la mare avait terminé, au bout d’une journée à peine, bariolé de couleurs et d’annotations. Ce fut un véritable choc. J’ai réalisé alors qu'il m’était tout bonnement impossible de repérer mes faiblesses sans une aide extérieure. Je n’avais ni l’expérience, ni les compétences. Ma réflexion n’a pas été plus loin : je voulais m’améliorer et l’on m’offrait l’opportunité d’y parvenir ! J’ai donc soumis mon roman sans hésiter. Vous vous demandiez peut-être d’où je tenais mon rang de grenouille réactive… Les appréhensions sont apparues durant l’attente de la réponse, car je redoutais un refus. En y repensant, mes inquiétudes n’étaient pas justement orientées. J’aurai dû plutôt me soucier des conséquences d’une entrée en cycle. Aurais-je la volonté suffisante ? Serais-je prête à reprendre l’intégralité de mon roman ? Accepterais-je la critique ? Recevoir des bêta sur un roman complet est ô combien plus éprouvant que sur un extrait. Ce questionnement me semble à présent essentiel et devrait accompagner toute soumission.
- Tu as changé plusieurs fois le titre de ton projet. Est-ce que ça correspond à des moments-clefs dans tes corrections ? Pourquoi ces changements ?
Je n’avais jamais envisagé de lien entre mes choix de titre et le déroulement des corrections mais, en effet, il existe bel et bien. Je crois que ces modifications reflètent des stades de maturité différents. J’ai commencé cette histoire très jeune, et le roman a traversé des étapes de développement marquées, un peu comme un adolescent qui construit sa personnalité. Je ressentais le besoin de souligner ces étapes en changeant les titres. Une façon, sans doute inconsciente, de différencier cette nouvelle version de la précédente. De surcroît, les intitulés reflètent également l’orientation prise au cours des corrections, à savoir de recentrer le conflit sur le vécu des personnages, et non pas sur l’intrigue en elle-même. De L’ombre des shan’aars, un titre standardisé au possible, il est devenu Habikouni. Il s’est simplement recentré sur Silaë, le personnage principal. Tout comme les corrections.
- Au final, que retires ou que retiens-tu du cycle, sur le plan personnel, scriptural, méthodologique, autre ?
Je n’ai peur de rien ! J’exagère, mais c’est mon impression. J’écrirai. Même contre vents et marées, je persévérerai. Mon cycle a duré deux ans et demi. Durant cette période, en plus des corrections, j’ai pris la décision de complètement réécrire mon roman. J’en suis à la version onze de Habikouni. Je ne redoute plus la rédaction d’un nouveau texte ou les corrections éditoriales, car je m’en sens capable. D’un point de vue personnel, cette assurance permet d’envisager sereinement de nouveaux projets. De plus, j’ai engrangé beaucoup d’informations, de méthodes et d’astuces durant ce cycle. J’estime avoir gagné au moins trois années d’écriture intensive. Si je devais citer un point important de cet apprentissage, je choisirais le regard du bêta-lecteur, souvent différent de l’intention de l’auteur. Pourquoi, diable, n'arrivais-je pas à me faire comprendre ? C'est en essayant de comprendre ces divergences, d'en rechercher l'origine, que j'ai pu réécrire Habikouni sous un angle nouveau.
-Sur la mare, on trouve aussi des conseils, pistes et fiches de lecture de romans parus. Cela t'a-t-il fait découvrir des ouvrages ou des auteurs, ou poussée vers certaines lectures ?
Je suis très attentive aux fiches de lecture qui circulent au sein de la mare. La grande majorité de ma PAL (Pile À Lire) en SFFF provient des conseils d’autres membres de CoCyclics. Les spoilers ne me dérangent pas le moins du monde. Au contraire, j’en suis friande. J’ai donc tendance à lire l’intégralité d’un fil dédié à un roman, ce qui ne m’empêche pas de savourer ma propre lecture. Je trouve d’ailleurs ce système efficace. Il me permet de découvrir des nouveautés, dans un genre que je n’aurai sans doute pas abordé, ou de confirmer le choix de mes prochaines lectures. Le seul inconvénient de ces propositions alléchantes, à mon sens, est que ma PAL ne cesse de s’agrandir !
-Peux-tu nous parler de tes influences littéraires, sur tes écrits en général et sur Habikouni en particulier ?
Je dois mon attrait pour le steampunk À la Croisée des Mondes, de Phillip Pullman, mon penchant pour la poésie aux vers de Lamartine, en particulier Le Lac que je peux relire avec une émotion toujours renouvelée, et mon faible pour les histoires d’amour tragiques comme celle de Paul et Virginie, de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre. Mais pour Habikouni, les influences touchent des domaines variés, tels que la musique, les films, la danse, les illustrations, etc. Vous retrouverez un peu de Princesse Mononoké en Silaë, un peu de l'atmosphère de ICO dans les descriptions, ce jeu que je recommande chaudement, ou ma fascination pour les félins que Hiraide Takashi a très bien retranscrit dans Le Chat qui venait du ciel.
- Retrouvera-t-on cette fascination pour les félins dans ton projet de roman tout seul dont tu nous parlais en début d'entrevue ?
Non, ou alors un simple clin d’œil. Il faut savoir renouveler ses influences, et je tiens à différencier ce nouveau projet de Prélude à l’Aube. Il y aura bien sûr d’autres ponts, à mon avis, mais pas à propos des félins.
- Merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre à ces questions !
J’en profite pour remercier Cocyclics, mes bêta-lecteurs et ceux qui m’ont soutenue durant ce cycle !
Retrouvez Tsumïre, son univers et ses lectures, sur son blog et la présentation de Habikouni, roman fantasy mâtiné de steampunk, sur cette page du site CoCyclics.