Lucie Chenu a reçu à deux reprises le Prix Bob Morane pour son activité d'anthologiste, en 2008 et 2009. Ses anthologies parues sont (Pro)Créations (éd. Glyphe, 2007), De Brocéliande en Avalon (éd. Terre de Brume, 2008), Identités (éd. Glyphe, 2009), Passages (éd. Oskar, 2010), Contes de villes et de fusées (éd. Ad Astra, 2010), Et d'Avalon à Camelot (éd. Terre de Brume, 2012).
Elle a eu la gentillesse de répondre aux questions de Lullaby pour Tintama(r)re.
1/ Pour commencer, peux-tu nous parler des maisons d'édition pour lesquelles tu as conçu une anthologie ? Je pense notamment à Terre de Brume, pour les deux anthologies arthuriennes, mais il y a eu aussi Ad Astra (Contes de villes et de fusées) et Glyphe ((Pro)Créations et Identités).
Eh bien, mes relations avec tous ces éditeurs ont été très différentes les unes des autres ; je ne connaissais pas du tout Glyphe avant que soit acceptée mon anthologie sur la Naissance, et le travail sur (Pro)Créations s'est tellement bien passé qu'Éric Martini m'a proposé de diriger la collection Imaginaires. N'ayant pas de formation d'éditrice, j'ai accepté une codirection. Ce challenge m'enthousiasmait. J'ai énormément appris durant ces deux-trois ans de collaboration avec Glyphe, j'ai réuni une anthologie inspirée de ma réflexion sur Les Identités meurtrières, l'essai d'Amin Maalouf, mais avons pris de plein fouet la crise économique, et la collection en a fait les frais. Il faut dire que Glyphe publiait surtout des ouvrages sur la médecine, ou bien des romans écrits par des médecins, et que son réseau de diffusion-distribution n'était pas le plus adéquat pour une collection de SF.
À Terre de Brume, j'ai proposé une anthologie toute prête, car conçue pour un autre éditeur qui n'a pas pu la publier comme prévu, mais totalement dans sa ligne éditoriale : les légendes arthuriennes. Je ne connaissais pas Dominique Poisson avant cela, mais je connaissais bien ses livres et j'étais enthousiaste à l'idée de publier chez lui.
À l'inverse, je connaissais Xavier Dollo bien avant qu'il ait l'idée de fonder une maison d'édition, et c'est lui qui m'a demandé une anthologie (enfin, je crois, parce qu'il ne s'en souvient plus). J'avais justement plusieurs thèmes qui me trottaient dans la tête et on a choisi ensemble les contes de fées revisités. Il m'a ensuite laissé carte blanche.
Il y a aussi les éditions Oskar, chez qui j'ai publié une anthologie pour la jeunesse, Passages, sous la direction de Christine Féret-Fleury. Une rencontre et une collaboration très agréables.
2/ Qu'est-ce qui t'a fait devenir anthologiste ? Quelles étaient tes motivations ?
La maternité et la fanitude ;-)
Après la naissance de ma numéro 2, je me suis aperçue que je me mettais à choisir des lectures parlant de naissance et/ou d'enfantement (oui, il y a une différence : nous naissons tous, mais seul.e.s certain.e.s d'entre nous enfantent). Et petit à petit des questions se sont mises à me tourner dans la tête, du genre « oh, je me demande bien ce qu'écrirait Machin sur le thème », « Truc a écrit des choses passionnantes là-dessus et il a encore des choses à dire », etc., et petit à petit m'est venue l'envie de réunir ces auteurs que je fantasmais écrivant sur ce thème (certains l'avaient déjà fait) et de publier une véritable anthologie de nouvelles avec de la SF, du fantastique, de la fantasy, du noir ou de la blanche…
3/ Peux-tu nous parler de tes premières anthologies, chez Glyphe ? Comment as-tu ressenti ces premières expériences ?
Si je réponds que j'ai eu le sentiment d'enfanter, ça va faire cliché, hein ? ;-)
En fait, j'ai tellement galéré à trouver un éditeur – je ne remercierai jamais assez les auteurs qui m'ont fait confiance aussi longtemps ! – que lorsque j'ai appris que Glyphe acceptait l'antho, ça a été l'explosion de joie. J'étais à la Convention de SF de Bellaing, à ce moment-là, et certains des auteurs étaient présents, en particulier Jess Kaan qui regardait ses mails à deux mètres de moi et a eu l'info en même temps que moi, et Nathalie Dau.
La conception d'Identités s'est passée dans des conditions totalement opposées : pour la première fois, je partais avec un éditeur ! (Mieux : j'étais éditrice.) Le thème était encore plus foutraque, l'antho est encore plus contrastée : toutes les facettes de nos identités meurtries, meurtrières…
4/ Tu as également dirigé deux anthologies sur la légende arthurienne. Pourquoi deux anthologies ? Ce thème t'est-il particulièrement cher ?
Pourquoi deux ? Eh bien, il y en a eu d'abord une, et puis comme, en effet, le thème m'est en effet particulièrement cher – mais aussi que la première avait très bien marché et qu'elle est pile-poil dans la ligne éditoriale de Terre de Brume – j'en ai proposé une autre à Dominique Poisson qui l'a acceptée.
C'est un thème que j'avais déjà abordé, avec un dossier dans Faeries, et récemment Jérôme Vincent m'a demandé une postface pour l'antho Lancelot chez ActuSF. (En réalité, il m'a demandé une préface, mais j'ai préféré écrire une postface pour changer.)
5/ Quel est exactement le rôle d'un anthologiste selon toi ?
Selon moi, il n'y a pas une seule façon de faire, mais autant que d'anthologistes, voire d'anthologies, voire de nouvelles publiées en anthologie ! Avec ma casquette d'auteur, j'ai travaillé avec des tas de directeurs d'ouvrages très différents les uns des autres, et très différents de moi. Je peux donc juste dire comment moi je fais.
Quand je reçois les textes, je les lis une première fois en annotant le fichier, mais sans chercher la petite bête afin de ne pas gâcher mon plaisir. Je trouve cette découverte du texte très importante, et il peut m'arriver d'attendre un moment avant de le lire, parce que je veux être vraiment disponible. Ensuite, je demande s'il y a lieu des corrections, je soumets les auteurs à la torture des allers-retours – et je me soumets moi-même à la torture des nombreuses relectures du même texte. Tout ça est très différent selon les textes ; certains ont à peine besoin d'un peaufinage, d'autres ont besoin d'être plus travaillés… Et certains auteurs n'aiment pas qu'on leur suggère des modifications alors que d'autres ont besoin d'être freinés, car ils seraient capables de réécrire l'entièreté de la nouvelle alors qu'on leur demande trois virgules !
6/ Comment s'effectue le choix du thème ?
Eh bien, je ne pars pas avec en tête « oh, j'ai envie de faire une antho, mais quel thème vais-je bien pouvoir prendre ? ». Au contraire, c'est lorsqu'un thème me tourne autour, que je me mets à le chercher dans mes lectures, que je fantasme dessus, qu'alors je me dis : « je veux faire une anthologie sur ça ! ».
7/ Et le choix des textes ?
Je commence par choisir les auteurs – j'ai très rarement publié en antho des soumissions spontanées – parce que je sais ou que je sens que ce thème est fait pour eux, ou du moins que j'ai envie de lire quelque chose de ces auteurs-là sur ce thème. Je leur demande un texte (je les couvre de fleurs et les menace des pires malédictions s'ils ne font pas ce dont j'ai envie) et ensuite, je ronge mon frein en attendant.
Une précision, tout de même : pourquoi est-ce que je publie peu de soumissions spontanées en antho ? Parce que je l'ai beaucoup fait avec les fanzines, les webzines, les revues… J'ai le plus profond respect pour les anthologistes ou les éditeurs qui proposent des AT, j'ai d'ailleurs moi-même envoyé des nouvelles à des AT, mais ça n'est pas ça que j'avais envie de vivre, jusqu'à présent.
8/ Comment conçois-tu l'ordre des textes ?
Le premier doit accrocher le lecteur, mais il peut ne pas plaire à tous (bien souvent, le seul lecteur qui aime tous les textes est l'anthologiste lui-même). La seconde place est l'une des plus périlleuses : c'est ce texte-là qui doit convaincre le lecteur de ne pas abandonner le livre. Enfin, la dernière nouvelle est importante, aussi, parce qu'elle donne la note finale, le sentiment sur lequel restera le lecteur.
Entre les deux, j'aime alterner les émotions, le rire et la peur, les textes longs et les textes brefs, les styles d'écriture ou encore les genres : SF vs fantasy ou fantastique. J'aime les anthos hétérogènes, contrastées. En tant que lectrice, si j'ai envie de lire à la suite plusieurs nouvelles proches les unes des autres, je privilégierai les recueils d'un seul et même auteur.
9/ Aurais-tu une anecdote particulière à partager, concernant l'une de tes anthologies ?
Quelques-unes…
L'un des auteurs qui m'ont le plus soutenue lorsque je galérais à trouver un éditeur pour (Pro)Créations a refusé de signer le contrat avec Glyphe, parce que la rémunération était proportionnelle à la longueur du texte. Il faut dire que le sien faisait seulement 3 000 signes et que pour être intéressant il fallait l'accompagner de deux photographies (dans le domaine public), lesquelles m'ont fermé la porte de plusieurs éditeurs qui auraient éventuellement publié l'anthologie sans illustration d'aucune sorte.
Quand le recueil de Megan Lindholm/Robin Hobb, L'Héritage et autres nouvelles, est paru, je me suis bien évidemment jetée dessus. Et j'ai commis l'erreur de vouloir lire la traduction signée Arnaud Mousnier-Lompré1 de « La Dame d'argent et le Quadragénaire », que Lionel Davoust avait traduite pour De Brocéliande en Avalon. Que n'ai-je pas fait là ! Je me suis retrouvée les deux livres en main à comparer les deux versions ! À me demander ce qui convenait le mieux pour tel paragraphe, telle phrase… Quelle erreur ! Ne jamais comparer les versions françaises, surtout quand elles sont signées de deux excellents traducteurs comme Lionel et Arnaud ! Mais quelle leçon, aussi. La traduction littéraire est un passionnant mystère.
Dans Identités figurent des auteurs qui ont souhaité publier sous pseudonyme (autre que leur nom de plume habituel), parce que leurs textes s'inspiraient de leur vie, et qu'ils voulaient éviter de froisser des proches.
Pour Et d'Avalon à Camelot, j'ai oublié d'indiquer à Anne Fakhouri et à Nicolas Cluzeau que les histoires devaient se passer à notre époque ou dans l'avenir. Qu'importe ! Leurs nouvelles sont superbes – et cette contrainte qui servait de fil rouge à De Brocéliande en Avalon était une idée de l'éditeur qui n'a pas pu la publier. Je n'avais pas besoin de la conserver !
Note :
1. À qui j'avais envoyé une lettre de fan (une vraie, en papier chez l'éditeur, je n'avais pas le net !) après avoir lu L'Assassin royal, tant j'avais aimé son écriture.Liens :
- Le blog de Lucie Chenu : http://humeurs.svetambre.org/
- Univers & Chimères, n° 1 "la Musique" (2004) : http://univers.chimeres.org/
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