Le dernier salon du livre a permis à plusieurs membres du collectif de promouvoir CoCyclics.
A cette occasion, il est apparu comme évident que le terme "bêta-lecture" est peu connu, peu utilisé et très loin d'être rentré dans le langage courant.
La bêta-lecture étant l'activité de base du collectif, il est important de bien définir de quoi il s'agit pour que nos interlocuteurs (autres auteurs mais aussi éditeurs) sachent ce que cela englobe.
Sur le forum du collectif, j'avais proposé cette définition : correction de fond et de forme apportée à titre bénévole sur un texte, en général sous forme d'échange entre auteurs("à charge de revanche").
Cette définition n'est pas correcte car elle a un défaut énorme : on pourrait croire que c'est le bêta-lecteur qui corrige le texte, alors que ce n'est pas du tout le cas, l'auteur reste seul maître à bord.
La bêta-lecture n'est donc pas une correction, ou du moins elle ne se réduit pas à cela.
Voici comment se déroule une bêta-lecture :
- un auteur se rapproche d'un bêta-lecteur,
- si le bêta-lecteur accepte de l'aider, l'auteur lui confie son texte,
- le bêta-lecteur lit attentivement le texte et soulève tout ce qu'il peut, défauts comme qualités, de fond comme de forme,
- l'auteur prend connaissance des différents points,
- il revient vers le bêta-lecteur s'il a besoin de discuter certains points ou s'il a besoin d'aide pour aborder certaines corrections,
- l'auteur corrige son texte tout seul, il est entièrement responsable des corrections qu'il apporte (ou non, car ce n'est pas un beni-oui-oui, il doit rester critique).
Le résultat ? Le texte est toujours meilleur après une bêta-lecture, à condition :
- que le bêta-lecteur n'oublie jamais quelle est sa place (il n'a pas à s'approprier le texte, à chercher à faire reformuler les phrases comme lui les aurait écrites) ;
- que l'auteur soit de bonne foi et prêt à travailler d'arrache-pied (parfois, les retours sont très douloureux).
Pour un auteur, bêta-lire d'autres auteurs est très utile, cela permet de progresser, de s'améliorer et c'est un échange de bon procédé : tout le monde y gagne.
En résumé :
Tu bêta-lis mon texte aujourd'hui ? Je bêta-lirai le tien demain. Dans tous les cas, nos deux textes étant plus aboutis, ils ont plus de chance d'être retenus pour publication.
Cécile G. Cortes
Notes :
1) on peut tout à fait soumettre un texte à plusieurs bêta-lecteurs, les uns après les autres ou simultanément,
2) souvent, les bêta-lectures se font spontanément entre auteurs qui se connaissent et s'apprécient,
3) le collectif CoCyclics offre un cadre pour des bêta-lectures de nouvelles, synopsis et romans, exclusivement pour les genres science fiction, fantasy, fantastique (SFFF).
Excellente définition de la bêta lecture :)
RépondreSupprimerOuep, chouette définition !
RépondreSupprimerTu Bêta-lis :
RépondreSupprimer- Pour rendre le texte de l'autre meilleur.
- Pour économiser du temps à l'auteur.
- Pour lui permettre de prendre un peu de hauteur avec ses mots.
- Et pour t'améliorer. Hein, pour s'améliorer ???
Comment ça, s'améliorer ?
Savoir bien suggérer ou proposer une transformation efficace nécessite de connaître parfaitement le texte de l'autre, sa façon de formuler. Ce qui oblige à sentir le texte, à le vivre, donc à s'investir.
Bien sûr, l'auteur est libre ou non d'appliquer la suggestion. C'est un choix.
Et ce choix est formateur, car l'auteur sait exactement quelle formulation il a choisie et pourquoi il l'a choisie.
Que ce soit la suggestion, ou une tournure plus personnelle, plus adaptée à sa personnalité ou à son style, il choisit... et réfléchit.
Car, souvent, une suggestion à un endroit peut indiquer un problème bien en amont. L'auteur a sous-entendu quelque chose plus haut dans le texte, et le problème apparaît vingt-cinq ou trente lignes plus bas… par exemple, lorsque le héros se comporte de manière incohérente / stupide par rapport à sa profession.
L'auteur, plongé nez dans guidon, avec toute l'histoire en tête est quasi incapable de remarquer ce genre de problème… Là où un lecteur vierge du texte remarquera le beans, l'écueil d'entrée de jeu.
Bêta-lire, c'est permettre à l'auteur de gagner du temps et de lui donner la distance nécessaire par rapport à son texte. C'est rendre le texte meilleur, c'est repérer les erreurs récurrentes de l'auteur. C'est rendre l'autre auteur meilleur et plus conscient de son oeuvre.
Bêta-lire, c'est arriver à remarquer les "erreurs" chez l'autre… pour mieux les retravailler chez soi. On voit très bien, chez l'autre, ce qui ne va pas, chez soi ! :-)
Oui, il ne faudrait pas croire que bêta-lire soit une perte de temps pour le bêta-lecteur écrivain.
Bêta-lire, c'est s'approprier l'histoire, la faire presque sienne, la vivre… et soudain remarquer comment l'autre a tourné un passage excellent.
Plus d'un bon auteur n'hésite pas à recopier des passages complets dans ses lectures, ou même à démarrer un texte en ayant recopié un paragraphe d'un auteur qu'il admire. C'est une bêta-lecture, crayon à la main sur des auteurs publiés. C'est une foulée, un souffle que l'on souhaite prendre…
Oui, bêta-lire ne s'applique pas seulement à des écrivains débutants, ou comme un échange.
Bêta-lire s'applique aussi aux auteurs vivants ou morts.
Vous ne le saviez pas ? ;-)
Bêta-lire, c'est s'approprier l'histoire, la faire presque sienne… et soudain remarquer comment l'autre a roulé un passage dans la farine, sans y mettre de levain.
Là, deux attitudes de bêta-lecteur :
Attitude 1 - Passage mauvais, à revoir, à reprendre, à retricoter. (Auteur : - comment ? Bêta-lecteur : ben, en fait, je sais pas.)
Attitude 2 - Passage problématique, voilà comment je relèverais la sauce.
Et dans le deuxième cas, toujours en sachant que le texte n'est pas le vôtre, que la suggestion ira peut-être (et il vaudrait mieux dire : ira toujours) à la poubelle.
Un texte que l'on jette… voilà qui aide bougrement à jeter du sien, de sa chair, lorsque c'est nécessaire. Et c'est toujours nécessaire.
Bêta-lire, c'est aussi trouver du recul par rapport à ses propres textes.
Et combien nombreux sont les auteurs à mettre un livre dans le tiroir pour l'oublier ! Afin de mieux le bêta-lire plus tard. Avant de le confier à des bêta-lecteurs, pour avoir l'avis de l'autre. L'auteur est malin, il n'oublie jamais vraiment ce qu'il a écrit. Le cordon ombilical est toujours là, ou presque.
En bref, comme en long, bêta-lire les autres, c'est apprendre le métier d'écrivain.
Et si vous regardez un peu la vie desdits écrivains, vous verrez très vite qu'ils forment des clubs, qu'ils s'échangent des textes… qu'ils se bêta-lisent, en permanence.
Zut alors !
L'écrivain génial qui écrit tout seul dans son coin, ça n'existe pas.
Eh bien non, ça n'existe pas ! :-)
Au meilleur, même le plus solitaire des écrivains passe par le bêta-lecteur "éditeur".
La règle : derrière un auteur qui perce, cherchez le bêta-lecteur.
Même Flaubert en avait un.
Il est toujours là : conjoint, ami(e)…
Plus l'éditeur pour une part, petite part, il n'a pas que ça à faire et si le texte n'est pas assez bêta-lu, lui n'a pas le temps de s'y pencher.
Oui, c'est vrai, certains retours ne sont pas à la hauteur de ce que l'on attend.
Les super, bravo, génial, s'ils soufflent un peu de bonheur sur l'ego, ne servent à rien au bout du compte… parce qu'il y manque : mais, au fait, pourquoi super ? pourquoi bravo ? pourquoi génial ?
Idem dans l'autre sens. Pourquoi nul, pourquoi à chi... à jeter, pourquoi mal écrit ?
Sans explications, il n'y a pas bêta-lecture, il y a jugement.
Bêta-lire, ça oblige à creuser plus profond qu'un premier a priori. Ça oblige à plonger plus profond dans le terreau du soi… donc à creuser plus profond ses personnages.
Et ça oblige à écrire pour dire ce que l'on ressent.
Ce qui m'amène à relativiser la conclusion de Cécile :
"Le résultat ? Le texte est toujours meilleur après une bêta-lecture, à condition :"
Le texte n'est pas grand-chose, ce qui compte, c'est l'auteur.
Mais supposons qu'ils soient contigus.
"- que le bêta-lecteur n'oublie jamais quelle est sa place (il n'a pas à s'approprier le texte, à chercher à faire reformuler les phrases comme lui les aurait écrites) ;"
je suis d'accord sur le faire… on ne "fait" pas reformuler l'autre. On lui indique que sa formulation ne convient pas à ce qu'il veut dire. Un exemple est parfois, souvent, presque toujours, à la folie, éclairant, parce que l'auteur se rend alors compte de ce que l'autre a compris. Et il peut changer sa formulation, ou jouer de cette "in"-compréhension pour mieux rebondir dessus dans la suite du texte.
Comme je l'ai dit, une suggestion à un endroit n'implique pas qu'il faut modifier le texte pile poil à cet endroit. Un texte, c'est comme la croûte terrestre et ses plaques continentales : appuyer à un endroit peut provoquer un séisme à l'autre bout du monde, faire jaillir du sens à un tout autre endroit du texte.
"- que l'auteur soit de bonne foi et prêt à travailler d'arrache-pied"
Si l'auteur n'est pas prêt à travailler, alors il n'est pas auteur et ne le deviendra jamais.
Un texte en bêta-lecture, c'est un premier jet… ce n'est que le début d'une longue suite de bêta-lectures, dont la dernière sera celle où il relira, pour la dernière fois les corrections demandées par l'éditeur… où il ne sera pas, encore une fois, satisfait de ce qu'il a écrit.
Et je ne vous raconte même pas ce qu'il en sera dix ans après la publication.
Flaubert corrigeait les épreuves jusque chez l'imprimeur, en bousculant l'employé de l'imprimerie ! C'est dire.
C'est dire si un texte n'est jamais fini. Sauf quand on le décide.
Ce n'est pas non plus d'arrache-pied. C'est un travail à long terme.
On avance à sa vitesse, et parfois tout s'éclaire d'un coup, à cause du déclic. On comprend soudain, illumination, le pourquoi des suggestions d'un bêta-lecteur, dix ans plus tôt.
On comprend d'un coup que, parfois, tout jeter et repartir à zéro, c'est plus simple que de repriser son texte encore et encore. Mais il faut une sacrée abnégation. ;-)
"(parfois, les retours sont très douloureux)."
Là, encore, c'est faux.
Faux ! Oups, jugement ! ;-) disons : c'est modulable.
Si on est écrivain, donc si on est bêta-lecteur, alors tout retour est à bêta-lire.
Quand on bêta-lit un retour, ce n'est plus un jugement, c’est un cadeau à ouvrir avec patience et soin, par petites couches successives.
Parce que c'est un cadeau : quelqu'un a pris de son temps pour lire le texte, pour tenter de le rendre meilleur (au moins, pour faire réfléchir l'auteur sur ce qu'il a écrit). Même si l'autre démolit le texte de fond en comble, même si on se sent plus bas que terre après cette lecture. Ça reste un cadeau.
Un cadeau amer, parfois, parce qu'"on" le trouve amer. Ou parce qu'on suppose que l'autre a raison par-dessus et au-dessus de soi. En clair, parce que on, auteur, ne veut pas bêta-lire, ni accepter ce cadeau pour ce qu'il est.
Du temps offert gratuitement, sans contrepartie visible. Un cadeau qui permet une double bêta-lecture : deviner ce que l'autre veut dire dans son retour (et le plus génial d'une bêta-lecture, c'est cette possibilité de demander à l'autre ce qu'il a voulu dire), et comprendre ce qu'il dit, dans sa formulation et dans son expression.
Troisième cadeau dans le cadeau, c'est l'auteur qui choisit la solution qu'il préfère… Il a raison. Et c'est l'étape la plus importante : faire, trancher ses propres choix, en sachant où l'on va, ce qui pourra être/sera reproché. La dénomination exacte de ce troisième cadeau, c'est "s'affirmer". L'affirmation de soi !
L'auteur qui est incapable de bêta-lire ce retour n'a pas fini de souffrir bêtement.
Car il crée lui-même sa propre souffrance.
Il se rend incapable de s'affirmer. Il prend ce que l'autre dit pour une parole sacrée, alors qu'il s'agit d'incompréhension et du coeur même de l'écriture : ce que j'écris n'est pas tout à fait ce que j'ai pensé, et encore moins ce qui va être lu, et encore encore moins ce qui va être compris.
Les éloges ou les critiques hargneuses des journalistes/chroniqueurs spécialisés, il n'a pas fini d'en recevoir. Il sera largement temps de les bêta-lire.
Bêta-lire, c'est encore savoir apprécier ce que l'on vous offre.
Et, on peut se poser la question, que, qui rend-on meilleur à travers la bêta-lecture ?
"Tu bêta-lis mon texte aujourd'hui ? Je bêta-lirai le tien demain. Dans tous les cas, nos deux textes étant plus aboutis, ils ont plus de chance d'être retenus pour publication."
Non, oui, peut-être.
Deux aveugles ne verront pas le trou au milieu de la chaussée.
Pourtant deux aveugles, c’est deux cannes qui tapent sur le chemin, donc double chance de "voir" le trou.
Quand à savoir si les chances d'être retenus pour publication augmentent ou pas. C'est un non sens. (oui, j'aime bien la provocation :-) )
C'est un non sens, parce que ça présuppose qu'à se bêta-lire à l'infini sur le même texte, on pourrait avoir de plus en plus de chances d'être publié. Ce n'est pas le cas.
Un texte de débutant reste un texte de débutant.
Ce qui change, c'est l'auteur bêta-lecteur… et cet auteur bêta-lecteur ne supporte plus, ou supporte de moins en moins ce qu'il a écrit. Donc il change, un peu ici, un peu là, un peu partout, et même un peu tout… avant d'écrire un autre texte, qui n'a plus rien à voir avec le texte initial.
Ou alors, mieux, quand il écrit une autre histoire.
Bêta-lire, c’est acquérir de l'expérience, beaucoup d'expérience sur la façon de tourner les mots pour provoquer un ressenti.
De l'expérience et de l'exigence vis-à-vis de soi-même.
En effet, impossible de reprocher à l'auteur quelque chose lorsque soi-même, n'est-ce pas !
Bêta-lire, c'est tout simplement devenir auteur.
En résumé : "Je bêta-lis ton texte pour nous rendre meilleur. Et tu bêta-lis mon texte pour nous rendre meilleur."
Bien Amicalement
L'Amibe_R Nard