lundi 17 novembre 2014

Secrets d'anthologistes : Thomas Bauduret

C'est par une radieuse matinée de printemps, pendant le festival Zone Franche 2014 à Bagneux, que Thomas Bauduret a accordé cette interview à Mariedelabas au sujet de son travail d'anthologiste chez Malpertuis. Depuis cinq ans, l'anthologie annuelle des éditions Malpertuis rassemble en un volume dense le meilleur du fantastique, où se côtoient auteur·e·s aguerri·e·s, étoiles montantes et plumes prometteuses.
Thomas Bauduret est également traducteur et auteur sous le nom de Patrick Eris.

©Bertrand Robion



MDLB : Bonjour Thomas. Pouvez-vous vous présenter, ainsi que la maison d'édition Malpertuis ?

TB : Bonjour CoCyclics, j'en connais déjà quelques-uns, mais c'est toujours un plaisir !
Eh bien, j'ai sévi majoritairement dans Malpertuis. J'avais déjà fait une première anthologie qui s'appelait Rock Stars chez Nestiveqnen (ndlr : sous le nom de Patrick Eris), ça s'était plutôt pas mal passé, les auteurs étaient contents, et l'antho s'était bien vendue. Donc, quand on a lancé les éditions Malpertuis (dont l'origine serait une autre, très longue histoire pour un autre jour [1]), ma première idée a été de faire une anthologie qui ne soit pas thématique, sans autre sujet que le fantastique. Parce que le problème avec une anthologie thématique, quand on a une idée et que l'anthologie est déjà passée, on l'a dans l'os, et quand on a une idée trop tard, on l'a aussi dans l'os parce qu'il y a peu de chances que quelqu'un refasse une anthologie sur le même thème. Donc j'ai décrété « Ce sera une anthologie de fantastique point barre ».

MDLB : Comment êtes vous arrivé à devenir anthologiste ?

TB : Ce fut une très longue déchéance, vous comprenez… (rires) Non, sérieusement, j'ai partiellement répondu dans la première question. C'est parce que j'avais déjà fait une anthologie avec un éditeur avec lequel je m'entendais excessivement bien, j'ai tenté l'aventure et l'essai a été concluant. J'ai eu des gens très bien comme Jean-Marc Ligny, Michel Pagel, Philippe Ward, qui m'ont fait confiance et donc voilà, à partir de là, je dirais que ce fut un cheminement naturel. J'ai eu envie de retenter l'expérience. L'occasion fait le hareng, comme on dit (rires).

MDLB : Quelle sont les motivations pour diriger une anthologie ?

TB : Majoritairement, la découverte. Franchement quand je tombe sur une nouvelle qui me retourne, surtout quand il s'agit d'un texte de débutant puisque c'est un petit peu dans notre vocation, c'est un plaisir, déjà de lecture pour moi, qui ai la chance de ne pas être complètement blasé malgré des années dans ce métier, et aussi c'est le plaisir parfois d'avoir en plus des auteurs qui deviennent quelque chose. Ophélie Bruneau par exemple, qui a commencé chez nous, a deux et bientôt trois romans derrière la cravate, Sylvain Lasjuilliaras a sorti un roman, Olivier Gay qu'on ne présente plus n'a pas eu une de ses premières publications chez nous, mais ses premières nouvelles professionnelles chez Malpertuis… On n'est pas du tout possessifs sur nos auteurs. Au contraire, si un jour on a l'« Espoir de demain » et qu'il finit quelque chose d'énorme, alors là, qu'est ce qu'on sera content ! Ça voudra dire qu'on aura bien fait notre boulot de défricheurs. C'est quelque chose qu'on peut se permettre, car on est une toute petite structure, donc sans les objectifs de rentabilité, tous ces mots pas foncièrement barbares.
L'édition, il faut en passer par là, c'est aussi un business. Nous, on est à peu de chose près du fanzine amélioré, grâce à l'impression à la demande, grâce à l'associatif, on peut se permettre ce genre de choses. On peut se permettre des choses plus osées, des nouvelles très expérimentales comme on a eu quelques fois, et le plaisir c'est de se dire : « Celle-là, je la prends, parce que sinon personne ne l'acceptera jamais, et pourtant elle mérite d'être publiée ».

MDLB : Quel est le rôle d'un anthologiste selon vous ?

TB : Difficile à dire, en effet. Tout simplement d'essayer d'avoir un choix correct, faire un sorte que ses goûts correspondent à ceux d'une partie du public, parce qu'il faut être net, si on veut plaire à tout le monde, on fait du consensuel. Il est assez marrant de voir que quand on demande quelles sont les trois nouvelles préférées dans une anthologie on n'a jamais les mêmes réponses, et c'est très bien comme ça. Donc c'est d'essayer d'avoir une vraie diversité, peut-être parfois faire un peu abstraction de ses choix en dehors des coups de cœur que personnellement j'assume totalement. C'est de se dire : « Est-ce que cette nouvelle mérite d'être publiée, est-ce que cet auteur, si c'est un débutant, mérite d'exister ? ». Des fois c'est un petit peu cornélien, le jugement de Salomon, un petit peu cruel… Il y a des cas où c'est impubliable, il n'y a pas photo. Il m'arrive aussi de donner des réponses négatives mais en même temps positives : « C'est pas encore ça, mais continuez, il y a quelque chose… ».

MDLB : Comment s'effectue le choix des textes ?

TB : Il y a des coups de cœur : ces textes-là, je les veux, et même, le premier qui y touche, je le mords (rires). Il y a les textes sur lesquels je suis plus mitigé, où j'ai commencé à faire des listes, oui, non, oui, non. Je pars aussi du principe que « premier arrivé premier servi », c'est-à-dire que je lis les textes dans l'ordre d'arrivée. Si la même idée est traitée deux fois, eh bien celui qui a envoyé sa copie le plus tôt passera en premier, c'est normal. Il y a un petit pool de nouvelles qui passent le premier stade, et qui sont au deuxième stade : il n'y en a pas beaucoup sur lesquelles j'hésite, au final dans 80 % des cas je les prends, sauf s'il y en a une autre dans la pile qui traite la même idée et s'avère plus aboutie. Il faut que je relise à tête reposée. Et à partir de là, le sommaire est fait.

MDLB : Comment s'effectue le choix de l'ordre des textes ?

TB : Oh là là ! Tout commence par une grosse consommation de Migralgine… Non sérieusement, c'est comme, je dirais, un opéra : il faut qu'il y ait des moments de détente, accepter les crescendo, qu'il y ait ensuite des plages plus calmes, des nouvelles humoristiques. Parfois, comme dans le Malpertuis III, j'ai choisi de commencer sur une nouvelle-choc, celle de Sylvain Lasjuilliaras qui, je trouvais, donnait un double coup de poing à l'estomac, en tous cas c'est comme ça que moi je l'ai reçue. D'autres fois par des nouvelles qui permettent d'entrer tranquillement dans l'anthologie, de s'installer avant de, boing ! prendre la grosse surprise puis le coup de poing dans l'estomac. Des fois, moi-même, je me demande comment je fais (rires). C'est l'instinct qui essaie de composer cette partition.

MDLB : Pour finir, avez-vous une anecdote particulière à partager ?

TB : En voici une : j'ai reçu un jour deux nouvelles qui étaient un peu longues, c'est toujours un peu rédhibitoire, mais il y avait un univers... Au fil de la lecture, ça donnait « oui… non… oui… non… oui… non… oui » au final non. J'ai envoyé un mot en disant « Désolé, ce n'est pas encore abouti, il y a encore besoin de peaufiner, mais il y a déjà quelque chose. Il faut travailler et surtout ne renoncez pas ». Et j'ai eu un grand moment de solitude quand j'ai reçu une réponse disant : « Oui, c'est gentil. J'ai tout le temps de m'améliorer, je n'ai que treize ans ».
Comme dirait Jimmy Guieu : « Petit un : authentique » [2].
Une recommandation : Malpertuis, ce n'est pas un concours ; si vous voulez avoir une réponse, étant donné que je suis très peu doué pour le marc de café, mettez votre nom et vos coordonnées sur la nouvelle, sinon vous n'avez pas beaucoup de chance d'avoir une réponse !

MDLB : Merci beaucoup !

TB : Merci à vous !


Notes :
[1] Et elle vous sera racontée !
[2] Habitude d'écriture de Jimmy Guieu (1926-2000), chroniqueur radio, auteur de SF et ufologue.

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