lundi 27 octobre 2014

« Écrire… du bon pied ! » : Une masterclass avec Lionel Davoust


Dimanche 5 octobre, 10 heures.
C'était le dernier jour de la convention Octogônes à Lyon (http://www.octogones.org), consacrée au jeu et à l'imaginaire.
Lionel Davoust, auteur et rôliste de son propre aveu, donnait une masterclass d'écriture sur les lieux de l'évènement.
Les ateliers d'écriture animés par un écrivain SFFF, ça ne court pas (encore) les rues en France… Alors Tintama(r)re était présent au rendez-vous ! Petit compte-rendu de ce qui a été entendu.

Au lieu des deux heures prévues, la masterclass en a duré trois.
Lionel Davoust (L.D., ndlr) ne compte pas son temps lorsqu'il s'agit de parler écriture !
Dans la salle, il y a une bonne quinzaine de participants, pour la plupart débutants. Beaucoup se sont déjà essayés à l'écriture d'un premier roman SFFF sans forcément y parvenir. Ils sont venus écouter les conseils d'un auteur publié.
Et ça tombait bien, puisque la masterclass s'adressait tout particulièrement à eux.

© Mélanie Fazi


« Écrire pour soi… et écrire aussi pour les autres »

Dans son introduction, L.D. revient sur ce que signifie le métier d'écrivain.
Un écrivain, lorsqu'il souhaite être publié, écrit pour soi mais aussi pour les autres. L'auteur rappelle alors le fonctionnement de l'économie du livre en France. Il appuie sur l'importance des différents acteurs de la chaîne (« Sans auteur, pas de livre. Sans commercialisation, pas de public ! ») et sur le fait que, malgré les faiblesses relevées, l'édition à compte d'éditeur demeure aujourd'hui le meilleur système existant.

« Apprendre à écrire, c'est apprendre à se connaître »

La suite de l'atelier est consacrée à la technique.
Si la connaissance des codes narratifs est essentielle, L.D. admet qu'il n'y a pas de règle ou de recette toute faite à appliquer en matière de création. Le débutant doit d'abord apprendre à se connaître, déterminer quel auteur il est vraiment afin de se tourner vers les outils qui seront les plus à même de lui convenir : plutôt imaginaire ou « mainstream » ? Plutôt scriptural ou structurel (d'après la différenciation proposée par Francis Berthelot dans son livre Du rêve au roman) ?
Selon les réponses à ces questions, l'auteur en herbe suivra soit des pistes qui l'aideront à piloter à vue, d'une scène à l'autre, sans connaître la fin de son histoire (pour le scriptural) ; soit des pistes avec plans détaillés et imbriqués, fiches de personnage et une fin connue (pour le structurel).
En tant qu'auteur structurel, L.D. a suggéré plusieurs outils, tantôt analogiques (chemises cartonnées, post-its), tantôt numériques (logiciels de mindmapping, bloc-notes hiérarchiques comme Treepad ou Scrivener) afin d'organiser ses idées et son travail.

Le travail de l'écrivain est un exercice de funambule, entre juste usage des outils, préparation et lâcher-prise. Si l'inspiration est importante, la « trousse à outils » que représente la technique va donc l'être toute autant : c'est elle qui va permettre à l'auteur de cadrer ses envies, ses désirs, son foisonnement d'idées. L.D. cite Elizabeth George en soulignant que talent et passion ne sont rien sans la discipline, la « méthode » pour progresser en tant qu'auteur.
L.D. explique qu'il est aussi nécessaire de faire confiance à son instinct. « Le corps sait » lorsqu'une idée fonctionne : la persévérance est de mise, il faut creuser jusqu'à sentir cette pulsion personnelle qui nous fait dire qu'un choix est le bon.
Oui, le métier d'écrivain implique des exigences, des attentes et du travail.

« Mens-moi, mais fais ça bien »

Une fois que les idées bourgeonnent, que la trousse à outils adéquate se trouve à ses côtés, l'auteur doit alors bâtir la charpente de son histoire.
Élisabeth Vonarburg, dans son ouvrage Comment écrire des histoires, explique que l'auteur fait des choix d'emphase et d'élision pour donner cette illusion de la réalité. « Mens-moi, mais fais ça bien », cite L.D. La fiction, même si elle n'est qu'une fiction, doit « faire sens » pour le lecteur. La notion de « causalité narrative » est importante : toute cause entraîne une conséquence et, par ricochet, toute conséquence doit être étayée. L'exemple du fusil de Tchekhov est repris : l'histoire a besoin d'un fusil à l'acte III ? Il est alors nécessaire de l'insérer à l'acte I. Cette causalité narrative se travaille à différents niveaux (d'une phrase à l'autre, d'une scène à l'autre, sur l'ensemble du récit).

La cohérence est essentielle, tout autant qu'il est essentiel de « pousser [les lecteurs] à continuer de lire ».
Pour cela, il est nécessaire de savoir ce qui compte dans l'histoire : susciter l'attachement aux personnages, suivre (ou non) les attentes du genre, prendre soin du rythme et du suspense constituent des clefs de travail, pour que le lecteur se demande toujours ce qui arrivera ensuite.

« Une histoire, ce sont des volontés »

De plus, afin d'en construire la structure, il est essentiel de définir ce qu'est véritablement une histoire. Pour L.D., c'est un ensemble de volontés : volontés des personnages, volonté de l'histoire (discours, cohérence interne), volonté de l'auteur.
Ainsi, on entre dans une histoire à travers des personnages et leurs volontés. Par exemple, Bilbo dans Bilbo le Hobbit veut partir à l'aventure. Cette ou ces volontés vont alors rencontrer l'adversité ; s'ensuivra une résolution à travers des péripéties et l'atteinte du but (ou non) : on obtient alors là le cheminement symbolique de l'histoire. L.D. note aussi que la notion de conflit (narratif, et non pas « conflit » au sens large) est importante pour la construction de ce cheminement.

« La scène fait avancer l'intrigue »

En dernière partie d'atelier, L.D. a fourni quelques pistes pour la construction des scènes.
Des questions à se poser : « Que vivent les personnages ? », « Que savent-ils ? », « Où en est l'opposition ? », « Quel est le problème le plus pressant ? », « Quelle réponse unique lui apporter ? »… peuvent aider à bâtir la scène pour que celle-ci fasse avancer l'intrigue. Par l'application d'une volonté à une résistance, dans un décor intéressant, et en glissant (si possible) de l'inattendu pour le lecteur, la scène doit toujours permettre de faire évoluer l'histoire.
Dramatiser (mettre en scène, le connu show, don't tell), dominer le flux du récit (en choisissant quoi narrer, quoi omettre, en maîtrisant la tension narrative) ont fait partie des autres conseils promulgués durant la masterclass.

« Le travail est dur… mais n'oubliez pas le plaisir ! »

Ce qu'on retiendra, c'est l'importance d'apprendre à se connaître (trouver ce qui marche pour soi, construire son propre processus mais savoir en changer), d'être lecteur pour devenir auteur, et de trouver du plaisir dans l'écriture. L.D. a aussi souhaité rappeler les règles éditées par Robert A. Heinlein :
- Écris
- Finis ce que tu commences
- Évite de réécrire (sans fin, car il faut savoir passer à un autre projet)
- Place ton travail sur le marché
- Garde-l'y jusqu'à ce qu'un éditeur le prenne

Une belle conclusion pour une masterclass enrichissante. On en redemande !
À noter que Lionel Davoust tient un blog d'écrivain recelant une mine d'informations et de conseils sur l'écriture. Pour le consulter, c'est par ici : http://lioneldavoust.com

Merci à Lilie pour ce compte-rendu !

mercredi 22 octobre 2014

Le forum Mille-feuilles

Il était un petit navire...

Le fonctionnement de CoCyclics et l'intégralité des documents expliquant son fonctionnement sont sous licence Creative Commons, selon le contrat suivant : paternité, pas d'utilisation commerciale, partage à l'identique. Autrement dit, vous pouvez créer votre propre forum et site web fonctionnant à l'identique de CoCyclics et nous demander conseil, mais sans reprendre notre nom, par exemple pour offrir un espace de bêta-lecture à d'autres genres (le polar, la littérature dite "blanche", etc.).

C'est de là qu'est né un jour Co-Lecteurs, en 2011. En effet, CoCyclics se restreint aux genres de l'imaginaire. Or, il n'existait pas, à l'époque, de forum équivalent pour les autres genres. Le navire Co-Lecteurs s'est donc lancé sur une idée généreuse : ouvrir le principe à tous les genres, sans restriction.
Il a depuis fait peau neuve, laissant place à la gourmandise de son équipe de proue, en devenant le restaurant Les Mille-feuilles.

Vous y retrouverez les grands principes de la bêta-lecture, basée sur l'entraide, la réciprocité et l'échange. Le but est de permettre aux auteurs, quel que soit leur niveau et leur parcours, de progresser ensemble.

Ce qui fait l'originalité du resto ? Sa pluridisciplinarité, d'abord. Vous y trouverez aussi bien de la littérature générale que du polar, de la romance ou du fantastique. Cela permet aux cuistots de découvrir de nouveaux genres vers lesquels ils ne seraient peut-être pas venus spontanément. Des auteurs de tous horizons, au sens propre comme au sens figuré, ensuite. Enfin des challenges de tous poils, qui constituent la force majeure du resto.

J'ai déjà parlé à plusieurs reprises de resto : il faut savoir que, tout comme la mare aux grenouilles est le thème de CoCyclics, celui des Mille-feuilles est l'univers de la cuisine et de la pâtisserie. Cela se retrouve dans les statuts : cuistot, commis, pâtissier, saucier, gastronome, chef de cuisine... Mais aussi dans les noms des différentes sections de travail :
  • Avec "La main à la pâte", on travaille les romans. Extraits à bêta-lire, challenge premier jet (terminer le premier jet de son roman dans l'année), challenge correction (parce que boucler les corrections, c'est aussi difficile sinon plus que le premier jet!) et challenge édition (parce qu'une fois fini, il faut bien savoir ce qu'on en fait, du roman).
  • La "Préparation de la carte" permet de travailler les synopsis et les "Mignardises", des nouvelles.
  • Dans la "Bêta-dégustation", passage aux cycles complets des bêta-lectures de romans.
  • Une section parmi d'autres dont le nom me plaît bien : "Aux fourneaux" (challenge correction).

Enfin, la brigade du restaurant est à ce jour relativement réduite ; ceci, couplé à la vigilance de la modération, en fait un espace convivial où l'on connaît très vite tout le monde.
D'ailleurs, interrogés, les cuistots (commis, sauciers, etc) sont unanimes. Ce qu'ils aiment avant tout sur le forum, c'est l'ambiance (qui a dit les tournées de rhum ?). Taille humaine, petit village, convivialité, sont les mots qui reviennent le plus souvent. Humilité, entraide, encouragement aussi, qu'il s'agisse d'auteurs publiés ou de débutants. Confrontation des idées, comparaison des méthodes tout en restant respectueux de l'identité d'auteur de chacun. Et petits délires de temps en temps (parce que le rhum, ça monte à la tête, parfois...).

Si vous souhaitez visiter, le restaurant dispose ses tables à l'adresse :
http://millefeuilles.leforum.eu/index.php
Et bon appétit !

Merci à Kira pour l'article !

dimanche 12 octobre 2014

Rencontre avec Yves Lavandier - Partie 3

Suite et fin de la retranscription de la rencontre avec Yves Lavandier.
Partie 1 et Partie 2 disponibles ici et ici.




Truby [2] recommande de doter son personnage de défauts. Il va même jusqu'à suggérer que le protagoniste doit blesser les autres. N'est-ce pas périlleux en termes d'attachement ? Les défauts des héros sont-ils de vrais défauts, ou des prétextes, de petits défauts sympathiques pour nuancer vaguement son protagoniste ?

Yves Lavandier : Non, moi je pense que vous pouvez utiliser de vrais défauts, y compris moraux. Si c'est psychologique, on n'en voudra pas au personnage. « Oh le pauvre il est paresseux ». Mais si en plus il fait chier les autres, qu'il a un défaut moral, ça peut très bien marcher. Surtout si vous lui faites vivre du conflit, et que vous faites assez vite comprendre au lecteur que votre personnage a une chance de se transformer : l'une des fonctions magiques du récit, c'est de nous indiquer la voie pour grandir. Et avec un défaut moral, on va vous suivre tout de suite. Pour moi il n'y a aucun problème à présenter les défauts. Il y a plein d'exemples. Est-ce que vous avez vu un film qui s'appelle Thank you for smoking ? Le protagoniste principal n'est pas parfait, il empoisonne des milliers de gens avec le tabac ! Mais il est attachant. Il a un gros défaut moral. Et il a tellement d'emmerdes dans sa vie privée que moi j'accroche.


Est-ce qu'on ressent de l'empathie pour le salaud, ou bien on a envie qu'il ait des emmerdes ?

Yves Lavandier : Très bonne question. On a toujours envie de voir puni le méchant à un moment donné. Dans Thank you for smoking, je ne l'ai pas vécu comme ça. J'étais vraiment avec lui, j'avais envie qu'il s'en sorte. Alors que dans sa caractérisation, c'est quand même, par certains côtés, une ordure. Il est comme vous et moi, avec des bons et des mauvais côtés. Après, ça dépend pour qui vous écrivez.


Les suites : comment reconstruire un nouveau but quand le premier a été atteint dans le premier volume ?

Yves Lavandier : On en a parlé un peu tout à l'heure. Vous mettez un nœud dramatique dans le troisième acte et puis voilà. Ça appelle des conséquences, un nouvel objectif… C'est vraiment une difficulté ça (silence) ?


Si vous prenez Truby, vous avez un défaut moral. À la fin du récit, vous le surmontez ou pas. Le but a été atteint ou pas. Le personnage a évolué ou pas. Mais comment de nouveau susciter l'envie d'évoluer ou de grandir alors que le protagoniste principal a déjà grandi ou échoué dans le premier volet ?

Yves Lavandier : Alors en général, quand on fait une suite, c'est qu'il y a une chose qui n'a pas été résolue dans l'évolution du personnage. Je pense qu'il n'a pas grandi. Ou alors la suite est un remake comme Rocky II, Rambo II… Dans une série télé comme Breaking Bad, d'une saison à l'autre, pour moi le protagoniste principal n'évolue pas.


La question qui tue : quels seraient vos premiers conseils à de jeunes auteurs qui veulent écrire un roman ou un scénario ?

Yves Lavandier : Le dernier conseil que j'ai noté c'est : lire et relire Comment ne pas écrire des histoires d'Yves Meynard. C'est vachement bien, je suis d'accord avec 90% de ce qu'il dit. Yves Meynard est un Canadien qui a écrit plein de romans relevant de l'imaginaire, il a été directeur littéraire de la revue Solaris pendant 5 ou 6 ans et a reçu plein de manuscrits. D'ailleurs, quand on le lit on se dit « oh le pauvre, qu'est-ce qu'il a du dérouiller », c'est très drôle. Il raconte que beaucoup d'auteurs font trop confiance aux idées géniales d'arènes extraordinaires et à leur imagination, au détriment de la structure, du style, de l'humanité et de la caractérisation des personnages. Donc l'imaginaire, oui, mais moi, perso, ce que je préfère dans le genre qui vous intéresse, c'est quand ça me dit quelque chose sur la nature humaine. J'aime quand ça me distrait, c'est la première règle, mais aussi quand ça me dit quelque chose. C'est pour ça que j'adore les métaphores, qui sont une grande spécialité anglo-saxonne. Les métaphores narratives.


Qu'est-ce que vous appelez « la métaphore narrative » ?

Yves Lavandier : C'est quand vous utilisez une métaphore pour dire un truc sur la nature humaine. Quand Woody Allen raconte l'histoire d'un homme-caméléon dans Zelig, un faux documentaire, il ne raconte pas l'histoire d'un homme-caméléon. Il raconte sous forme métaphorique comment certains individus en manque de confiance font tout pour adopter les idées et les manières des gens qui les entourent afin de se fondre dans le microcosme. D'ailleurs Woody Allen a déclaré que c'est ce qui l'avait motivé à réaliser Zelig. Se foutre de la gueule de ces gens-là.


Comment doit-on exploiter le fait que le lecteur connaisse les personnages ? S'attendre à les retrouver demande du renouvellement ?

Yves Lavandier : Certains éléments vont rester constants. Vous ne changez pas la caractérisation du capitaine Haddock d'un roman à l'autre mais en revanche vous changez l'arène, l'objectif, la nature des obstacles, etc. Et encore, Haddock n'est pas un très bon exemple car, et c'est typique d'Hergé, Haddock apparait dans Le Crabe aux pinces d'or. Or il n'a pas tout à fait la même caractérisation que dans tous les albums qui vont suivre. Il est pitoyable, victime. Mais une fois que Hergé a trouvé son personnage, là ça devient une constante. Il y a un autre truc que vous pouvez garder constant : c'est le sujet. Si vous écrivez le scénario de Rocky II, ça ne peut pas être l'histoire de Rocky qui apprend le piano (rires). Les gens veulent forcément voir un match de boxe. Pour moi Rocky II n'est pas une suite, c'est un remake. Comme dans un épisode de sitcom, on répète le même principe.


Comment gérer la tension dans tout le second acte, le « risque de ventre mou » ?

Yves Lavandier : C'est une bonne question car c'est vrai que c'est l'une des grandes difficultés de notre métier. Moi je dirais : climax médian et ironie dramatique. Grosse ironie dramatique (rires).


Est-ce qu'on peut faire des pauses dans l'intrigue principale sur des œuvres longues en mettant par exemple en avant les intrigues secondaires ?

Yves Lavandier : La question que je me pose toujours, comme pour le conflit, c'est « quel est l'intérêt d'avoir une intrigue secondaire » ? Je ne dis pas qu'il n'y en a pas. Il n'y a pas de réponse, mais je me pose toujours la question. C'est vrai que j'ai du mal, et je pense que c'est un défaut, à m'intéresser à d'autres personnages que le protagoniste auquel je m'identifie. Donc je ne me fais pas chier avec des intrigues secondaires. Je trouve que la grande qualité d'une intrigue secondaire, c'est de dire, d'un point de vue presque philosophique, que le monde n'est pas fait que de l'action de mon protagoniste. Il y a d'autres personnages et d'autres actions qui l'entourent. C'est une façon de ne pas être égocentré. Un autre intérêt, c'est de décliner un thème. Shakespeare le fait magnifiquement dans Le Roi Lear, il y a l'intrigue principale avec le roi Lear et ses filles, et l'intrigue secondaire avec Gloucester qui a deux fils, et des ennuis avec son fils bâtard. Donc il y a un parallèle thématique, et en plus de ça l'intrigue secondaire finit par avoir des répercussions sur l'intrigue principale. Parfois une intrigue secondaire pose des gros problèmes. Je ne sais pas si vous vous souvenez, dans Le Goût des autres, il y a une intrigue principale que je trouve savoureuse, c'est celle de Jean-Pierre Bacri qui veut être aimé de la chanteuse d'opéra. Et à côté de ça, une intrigue secondaire mal structurée avec Lanvin, Chabat et Jaoui. Le risque, c'est de passer à une intrigue plus faible. Si une intrigue secondaire a pour but de remplir, faites une nouvelle !




Quels sont les livres qui vous ont le plus impressionné dans leur construction ?

Yves Lavandier : Ce que vous appelez construction, c'est structure ou quelque chose de plus ?


La structure narrative…

Yves Lavandier : Dommage ! (rires). Pour moi, la structure c'est quelque chose d'assez simple. On revient à la structure en trois actes. Je ne dis pas que le travail de structure est facile. Parce que mettre trois actes, un incident déclencheur et un climax c'est facile. Le vrai travail de structure, c'est un travail de préparation-paiement [3], et ça c'est du boulot. Mais c'est quand même assez simple. Si je dois vous répondre sur les œuvres qui me bluffent du point de vue structurel, aucun roman ne m'impressionne. Alors qu'en films, je citerais Toy Story, La Mort aux trousses, To be or not to be, La Garçonnière, Retour vers le futur, parce que ce sont des festivals de préparation-paiement. Tout est hyper organique, tout paie. Si vous changez un élément, ça n'a plus de sens, ça ne tient plus la route. Mais pour moi la construction, c'est plus que ça. C'est le choix de la structure, mais aussi de la forme, des personnages, pour raconter une histoire. Un exemple tout bête : dans 21 grammes, l'incident déclencheur c'est un accident de voiture dans lequel un homme meurt. Si mes souvenirs sont bons, ses deux filles sont à l'hôpital. On va suivre sa femme, Naomi Watts, la mère des deux filles. Le cœur de la victime va être transplanté chez un homme, Sean Penn, qui a fait une demande d'organe. Et on va suivre l'auteur de l'accident, Benicio del Toro. Un film choral, avec trois personnages qui sont tous liés à l'accident de voiture. Le scénariste Guillermo Arriaga a logiquement écrit dans l'ordre. Ensuite il se retrouve avec 60 scènes. Il les découpe en 4 parties. Donc il se retrouve avec 240 bouts de scènes. Il les met dans un chapeau et puis il tire au hasard. Et il explose complètement son récit à la manière d'un puzzle, c'est le bordel… mais pas tout à fait. Il se trouve que l'essentiel de l'incident déclencheur, l'accident de voiture, se trouve au bout de 15-20 minutes dans le film. Et l'essentiel du climax se trouve… 5 minutes avant la fin. Donc la construction est folle, unique, originale, mais la structure est toujours la même ! C'est toujours mes 3 actes. Dans En attendant Godot la construction est assez originale mais la structure, c'est 3 actes.


Et Magnolia ?

Yves Lavandier : Magnolia, c'est choral. Magnolia… on n'a pas le temps (rire général). Bref, les livres qui m'ont impressionné dans leur construction : Fondation d'Isaac Asimov, tout le monde connaît. Je trouve ça génial. Un truc que je trouve sublime : Asimov fait des ellipses monumentales sur des siècles, et pourtant il y a une unité d'action, c'est toujours la même histoire. C'est assez fascinant. Les liaisons dangereuses, parce que ça raconte une histoire assez simple très cruelle, très cynique, mais d'une façon hyper originale. Le meurtre de Roger Ackroyd d'Agatha Christie, je ne vous en dirais pas plus, ceux qui connaissent savent de quoi je parle. Dans la série Blueberry, le cycle du cheval de fer et le cycle du trésor des confédérés. Je trouve que c'est ce que Charlier a fait de plus sublime. C'est l'Alexandre Dumas de la bande dessinée. Ces deux cycles-là, c'est 24 heures chrono au Texas en 1870… Incroyable ! Et il a bien compris comment justifier les deus ex machina, c'est fascinant. J'ai aussi bien aimé Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, en partie parce qu'il y a une histoire de voyage dans le temps, et je trouve que ça paie bien, l'histoire du manteau. Et Le Cercle de la croix, un roman de Ian Pears, qui date de 1997, une espèce de thriller moyenâgeux. On suit un personnage, une première histoire, ensuite un autre personnage mais c'est la même histoire racontée sous un autre angle. Et l'auteur fait ça quatre fois. C'est « l'effet Rashômon ».[4]

Pour revenir à la question qui tue « quels seraient vos premiers conseils à de jeunes auteurs qui veulent écrire un roman ou un scénario », les conseils que je vais vous donner s'adressent à tous les auteurs, jeunes ou vieux.
  • D'abord, écrire-écrire-écrire… Il y a un auteur américain qui disait « beaucoup d'aspirants écrivains passent du temps à aspirer et très peu à écrire ». (rires) C'est vrai. Si vous êtes aspirants écrivains il faut écrire.
  • Tenir compte du récepteur.
  • Être authentique, pas chercher à copier la mode, pas chercher à plaire aux critiques littéraires etc. Ne pas être dans la posture.
  • Mettre du conflit dynamique.
  • Réécrire. Vous savez que ce ne sont pas les américains qui ont inventé ça ? C'est Boileau. « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ».
  • Faire lire, mais ce n'est pas à vous que je vais dire ça (rires). Faire bêta-lire, pourrait-on dire… J'ai compris que vous étiez des experts.
  • Entendre les retours, là aussi je pense que vous vous débrouillez pas mal. Et je vous félicite d'ailleurs, j'étais assez admiratif de ce qu'on m'a raconté sur les Tremplins de l'Imaginaire.
  • Et lire et relire Comment ne pas écrire des histoires. (rires) J'ai presque envie de dire que c'est aussi utile que La Dramaturgie, Truby, et compagnie. ».

Notes :
[2] John Truby est l'un des plus grands script doctors au monde, il a écrit un ouvrage célèbre, L'Anatomie du scénario.
[3] En dramaturgie, la préparation-paiement est le fait d'utiliser un élément de l'intrigue à un moment pour s'en servir plus tard dans le récit.
[4] Rashômon est un célèbre film japonais réalisé par Akira Kurosawa, sorti en 1950. Dans le long-métrage quatre personnages différents racontent chacun leur version d'un crime.


La rencontre s'est terminée comme elle a commencé, dans la bonne humeur. Un grand merci à Yves Lavandier pour sa disponibilité, ainsi qu'aux grenouilles pour leurs pertinentes questions !


Retranscription par Jean-Sébastien Guillermou (Sycophante), relecture par Silvie Philippart de Foy (Garulfo) et Hatsh, et correction par Aurélie Wellenstein (Arya).

jeudi 9 octobre 2014

Rencontre avec Yves Lavandier - Partie 2

Suite de la retranscription de la rencontre avec Yves Lavandier en mai 2014.
La partie 1 est disponible ici.




Dans un roman, l'ironie dramatique diffuse doit-elle être privilégiée ?

Yves Lavandier : Tout le monde voit ce qu'est l'ironie dramatique diffuse ? L'ironie dramatique, c'est quand le spectateur a une information qu'un des personnages n'a pas. Exemple : nous savons que c'est Cyrano qui écrit les lettres, Roxane l'ignore. L'ironie dramatique diffuse, c'est quand le spectateur le sent, et non le sait. C'est plus… diffus ! Les bons auteurs jouent avec ça. Mais ce n'est pas installé par l'auteur comme une certitude. Exemple : la première scène d'Inglourious Basterds. Un nazi demande à un paysan s'il ne cache pas des Juifs. Au début le paysan nie. Mais il n'a pas l'air très à l'aise. Enfin en même temps, si j'avais Christoph Waltz en nazi en face de moi je ne le serais pas non plus (rires). Et puis au milieu de la scène, on passe sous le plancher via un travelling et on voit quatre ou cinq Juifs dissimulés. Tarantino passe d'une ironie dramatique diffuse à une ironie dramatique lourde. Donc je ne pense pas que l'ironie dramatique diffuse doit être privilégiée. Vous pouvez aussi mettre de l'ironie dramatique lourde dans vos romans. J'ai plein d'exemples : dans Le Comte de Monte-Cristo je crois qu'il y a beaucoup d'ironie dramatique lourde. On sait que le comte est Edmond Dantès, on connaît ses motivations, il y a beaucoup de personnages qui l'ignorent. Si mes souvenirs sont bons, Dantès se déguise en plein de personnages. Dans 1984, on sait que Winston écrit un journal et Big Brother l'ignore. Winston a une aventure sentimentale avec Julia dans des circonstances clandestines. Moi je trouve ça intéressant que les victimes de l'ironie dramatique, en l'occurrence les méchants et non les protagonistes, soient invisibles. Il s'agit d'une menace qu'on ne voit pas. Dans Prison Break ou la Grande Évasion, la victime type de l'ironie dramatique c'est également « le méchant », l'opposant principal. Pour en revenir à la question, la personne qui l'a posée laisse entendre qu'il n'y a pas d'ironie dramatique lourde dans les romans. Et Le Journal d'Anne Franck ? Je ne vous fais pas un dessin, il y a une grosse ironie dramatique. Dans toute la première moitié de Lolita on sait que Humbert est amoureux de Lolita et pas de sa mère. Dans Don Quichotte, on sait que les châteaux sont des auberges, que les géants sont des moulins à vent, Don Quichotte l'ignore. Dans Madame Bovary, Charles, le mari d'Emma, ignore que sa femme a des amants. Je ne me souviens plus si c'est résolu. Chez Homère, le cheval de Troie, le cyclope, la toile de Pénélope, c'est aussi de l'ironie dramatique. Dans Crime et Châtiment, un personnage assassine deux vieilles dames et tout le monde l'ignore. Alors allez-y sur l'ironie dramatique, laissez-vous aller, ayez la main lourde ! L'ironie dramatique est un mécanisme vraiment passionnant parce que, contrairement à tous les autres mécanismes qui découlent du conflit, elle vient du mode de réception du récit. Lorsque nous vivons une histoire réelle, nous ne sommes pas dans l'ironie dramatique, parce que nous n'avons pas de recul. Mais dès que vous racontez une histoire à un lecteur, ou à un spectateur, et qu'il a du recul, aussitôt cette distance crée de l'ironie dramatique, diffuse ou lourde.


L'idée c'est donc qu'il faut informer le lecteur…

Yves Lavandier : Ah oui ! Pour l'intéresser, pour le faire participer. Certains auteurs, par manque de confiance, ont peur de donner trop d'infos, de tout livrer, qu'il n'y ait plus de surprise.


Est-ce que l'ironie dramatique est forcément en opposition avec le mystère ? Dans son livre sur l'écriture de scénario, Jean-Marie Roth en parle comme des outils différents, voir complémentaires.

Yves Lavandier : Oui, on peut mélanger.


Est-ce qu'on ne peut pas assimiler le mystère à de l'ironie dramatique diffuse ?

Yves Lavandier : Non. Le mystère, c'est dire « il vous manque une information, mais je ne vous dirai pas laquelle ». Parfois, dans un scénario, il n'y a pas de mystère du tout. Alors, bien sûr, il vous manque la réponse dramatique, vous ne savez pas comment ça se termine. Mais sinon, le personnage cherche à atteindre un objectif, il y a un obstacle et vous prenez ça pour la réalité fictive. Soudain, coup de théâtre, surprise : ce n'est pas du tout ce qu'on croyait ! Ce n'est pas parce qu'il y avait du mystère, mais parce qu'il y avait une fausse piste. C'est-à-dire que vous avez fait croire que vous disiez tout et que c'était vrai.


Comment appelle-t-on l'ironie dramatique dans laquelle on donne sciemment des fausses informations au lecteur ? Ce n'est pas de l'ironie dramatique…

Yves Lavandier : Non, ce sont de fausses pistes. Cela peut être de la triche, mais pas nécessairement. Dans Le Limier, un écrivain invite l'amant de sa femme pour lui dire « je sais que vous couchez avec ma femme, ça ne me dérange pas. Mais elle a envie d'aller vivre avec vous et ce que vous ne savez pas, c'est qu'elle est très vénale. Or moi je n'ai pas envie qu'elle revienne (rires). Donc, je vais vous financer pour que vous me débarrassiez de ma femme une bonne fois pour toutes ». Le coiffeur est un peu étonné : il doit voler des bijoux, tandis que le mari obtiendra l'argent de l'assurance. Au bout de vingt-vingt-cinq minutes, coup de théâtre : on se rend compte que les motivations de l'écrivain ne sont pas tout à fait conformes à ce qu'il vient de raconter. Mais il n'y a pas de triche ! Ce n'est pas l'auteur qui ment au spectateur, c'est l'un des personnages qui ment à l'autre personnage. Donc ça marche très bien. Il n'y a pas de mystère. C'est une fausse piste. Et puis ça rebondit après, car il y a sept coups de théâtre en tout dans la pièce. Il y a plein d'œuvres qui mélangent ironie dramatique, surprise et fausses pistes comme Psychose ou La Mort aux trousses. Mais j'ai tendance à penser que l'ironie dramatique et la surprise sont des outils plus efficaces et plus intéressants que le mystère.


Pensez-vous que le cinéma influence le romancier dans son écriture ? Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

Yves Lavandier : Je ne vois pas en quoi ce serait une mauvaise chose. On est tous influencés par le cinéma mais aussi, plus généralement, par la vie. C'est une qualité que tous les auteurs ont : être des éponges, absorber, avoir l'œil.Ce qui est mauvais, et ça m'est arrivé quand j'étais plus jeune : sortir d'un film qui m'avait emballé, un Jacques Tati, et avoir envie de faire la même chose. C'est une erreur énorme parce que vous y perdrez votre âme. Mais c'est humain. Le plus terrible, c'est suivre la mode. On devient un artiste le jour où on n'a plus envie d'imiter ses aînés mais de faire mieux qu'eux. Ou de faire différent. De faire œuvre personnelle.

Il y a quand même un truc avec les principes fondamentaux aussi bien chez les Grecs, que chez les Chinois, à toutes les époques, dans tous les pays. Vous savez qu'il existe une version chinoise de Cendrillon ? En ce qui concerne l'ironie dramatique diffuse, un enfant, même chinois, devine que les deux sœurs n'arriveront pas à rentrer dans la pantoufle.


En ce qui concerne ces principes anciens, le deus ex machina était admis, voir même souhaité dans l'histoire…

Yves Lavandier (catégorique) : Non, non… Dans Iphigénie, les vrais dieux débarquent au troisième acte. Mais dès qu'on n'est pas dans une culture de ce type, il faut oublier les deus ex machinae. Dans plein de pièces grecques, il n'y a pas de deus ex machina. Aristote dit clairement que toute solution qui ne vient pas du personnage est à bannir ! Aristote l'écrit. Ces principes fondamentaux, je les vois depuis l'Antiquité, je les vois sur toute la planète. Au théâtre. Quand la radio et le cinéma sont arrivés, cela n'a pas changé.




Comment appliquer le show don't tell dans un roman ? Présente-t-il des limites ? Dans La Dramaturgie, j'ai le sentiment que le show, don't tell était appliqué à la caractérisation. Dans le roman, nous avons tendance à l'étendre à tout, et notamment aux émotions. Ne jamais décrire « Martin a peur », mais décrire « les battements affolés de son cœur »…

Yves Lavandier : Moi je préfère « Martin a peur » ! (Rire général).


N'a y-t-il pas un risque de lourdeur ?

Yves Lavandier : En fait le show, don't tell vaut bien sûr pour la caractérisation, mais pas seulement. Il vaut pour tout. Il vaut en dramaturgie, en littérature. Exemple : celui de Tweener dans Prison Break. Dans la première saison, Michael Scofield vient voir un nouveau prisonnier. « On m'a dit que tu étais un expert pickpocket ». Et Tweener répond « ouais, c'est possible ». Si on s'arrête à ça, les choses sont dites. On vient de dire que Tweener est un super pickpocket mais on ne l'a pas montré. La logique voudrait que pour le montrer, on voit Tweener en train de voler quelque chose, or ce n'est pas ce qui se passe. Michael Scofield dit à Tweener : « j'ai besoin de récupérer une montre sur le poignet d'un gardien ». Tweener répond : « quel type de montre ? ». C'est que du dialogue ! Scofield réplique « quelle importance ! ». Tweener s'explique : « j'ai besoin de connaître le type de montre, il y a des fermoirs plus ou moins difficiles à voler. Quelle marque ? » C'est que du dialogue. On pourrait dire que les choses sont dîtes, mais pour moi elles sont montrées.

Un autre exemple : le court-métrage Avant que de tout perdre. Cela commence par du mystère. Une femme jouée par Léa Drucker passe chercher ses enfants à l'école. Ils ont tous l'air très motivés, très sérieux. Et ils se retrouvent dans un supermarché dans lequel travaille la protagoniste (elle est caissière). Au bout de cinq, dix minutes, on comprend que leur objectif est de quitter la ville. Parce que le mari est hyper violent et qu'elle n'en peut plus. La seule solution pour elle, c'est de se barrer sans qu'il le sache. Beaucoup de gens disent, à propos de ce court-métrage, que les choses ne sont pas montrées. Parce qu'en effet, à aucun moment dans le film on ne voit le père (joué par le paysan… d'Inglourious Basterds !), frapper sa femme. En vérité, la violence conjugale est montrée de cinq façons différentes ! La détermination des protagonistes, les visages pleins de compassion des collègues, les cris du gamin quand il apprend que le père vient d'arriver au supermarché, la gueule du père qui n'a pas l'air de rigoler, et les hématomes sur le corps de la protagoniste. Donc les choses sont montrées, pas de façon évidente, mais moi j'appelle ça « montrer les choses ». Pour moi la violence conjugale est montrée. Mais pas comme on s'y attend. Pour en revenir à la question, écrire « Martin a peur », ça peut marcher. Mais si j'étais à votre place je me dirais « bon, Martin a peur, mais qu'est-ce que ça lui fait faire ? ». De la transpiration, d'accord. Rien que ce détail peut montrer que Martin a peur. Mais souvent, quand on a peur, on ne se contente pas de transpirer. C'est d'ailleurs une question qu'on se pose en tant que scénariste. La solution pour le show, don't tell, et c'est assez difficile, c'est de se mettre à la place de chaque personnage. On a tendance à se mettre à la place de son protagoniste auquel on veut que le lecteur/spectateur s'identifie. Mettez-vous aussi dans la tête de l'opposant principal, du sidekick, du chauffeur de taxi. Si vous vous mettez dans la tête, dans le cœur, dans les tripes de Martin, et qu'il a peur, il ne va pas siffloter… Ou alors si ! Il va siffloter justement. Pour cacher sa peur, par exemple. Il va siffloter faux.


La structure en trois actes : jusqu'où utiliser une structure en trois étapes ?

Yves Lavandier : Pour moi, c'est hyper simple. Un avant, un pendant, un après. Exemple : l'affaire DSK, la catastrophe minière en Turquie… La vie est une accumulation de structures en trois actes, fractale. Je trouve ça assez utile pour écrire. Le climax est forcément dans le pendant. Ça ne peut pas être dans l'après. Maintenant, c'est une question de définition, peu importe. Ce qui compte, c'est que vous adoptiez la méthode qui vous aide. Je ne cherche pas avoir raison sur ce sujet. Il y a quand même un élément où je trouve ma définition utile. Dans ma définition, on est dans le deuxième acte tant que le protagoniste n'a pas atteint son objectif. C'est aussi simple que ça. Ça veut dire que non seulement il ne l'a pas atteint, mais qu'en plus il ne l'a pas abandonné, c'est hyper important. C'est une différence fondamentale avec un protagoniste qui n'a pas atteint son objectif, mais qui essaie toujours. À l'issue du climax, on doit comprendre que soit le personnage a atteint son objectif, et alors c'est réglé, soit il ne l'a toujours pas atteint, et cette fois-ci il l'abandonne.


Et s'il ne l'abandonne pas ? Il y a des fins ouvertes, du coup…

Yves Lavandier : C'est mal écrit ça ! (rire général)


Il y a plein de films comme ça…

Yves Lavandier : Ça dépend. Exemple : la pièce de théâtre En attendant Godot. Le protagoniste cherche à voir Godot. C'est une pièce de Beckett en deux grands actes. À la fin de la première moitié, au climax médian, un gamin arrive et dit : « Godot ne viendra pas ». Et les personnages décident de revenir le lendemain pour l'attendre. Rideau, on rouvre la scène avec le même décor, et ils se mettent à vivre la même chose. Qu'est-ce qu'on commence à comprendre ? Que les personnages sont là depuis une éternité, et que Godot ne viendra jamais. Rideau, la pièce est terminée. Les personnages n'abandonnent pas leur objectif, mais nous on l'abandonne pour eux. Ce cas de figure est quand même exceptionnel. Les règles devraient être assez souples pour faire du Tchekhov, du Richard Matheson, d'avoir un troisième acte un peu plus long comme celui des Lumières de la ville, de Casablanca… Le troisième acte de Cyrano Bergerac est plus long que celui de Hamlet parce qu'il y a encore des choses à résoudre. L'action est terminée, mais il y a des ironies dramatiques, ou une nouvelle action. C'est normal, c'est légitime…


Donc le troisième acte est super court ?

Yves Lavandier : Il y a des œuvres où il est hyper court. Chez Shakespeare il est toujours hyper court. Pourtant, il a des pièces de quatre heures. En fait je vous propose deux règles : avant l'objectif, pendant l'objectif, et après l'objectif, c'est pas compliqué. Mettez-vous à la place du spectateur. Il est bien installé, et il a envie d'entendre « il était une fois »… et il frémit d'avance. Il est bien disposé. S'il n'est pas cynique, il espère que ça va être bien raconté. Mais sa patience a des limites. Il n'a pas trop envie que vous passiez des heures à préparer votre histoire. Il a envie d'entendre « un jour,... », de savoir quel est l'incident déclencheur. Et après l'incident déclencheur, le personnage, dont on a cassé la routine de vie, se décide à faire quelque chose. C'est ça la durée du premier acte. Selon ce que vous racontez, si vous avez plein de personnages et de décors à introduire, ça va prendre plus ou moins de temps. Le premier acte d'Alien est très très long. Ensuite vient l'action. Vous terminez l'action : il n'y a plus de suspens. Vous avez répondu à la question dramatique, c'est fini. Vous croyez que le spectateur a encore envie de rester une demi-heure ? Lorsque le troisième acte commence, il y a des gens qui regardent où sont leurs sacs et leurs manteaux. C'est humain. Or si vous installez une grosse ironie dramatique, genre Roxane ignore toujours que Cyrano écrit les lettres, les gens voient bien que le deuxième acte est terminé. Mais ils ne regardent pas leurs sacs. Parce que les humains ont les mécanismes du récit à l'esprit de façon inconsciente. Ils savent qu'il y a un truc à résoudre. Ils vont attendre, mais bon, ils ne vont pas attendre trois plombes. Tout dépend de votre histoire, de ce qui a besoin d'être résolu… Oubliez les dogmes.


À partir de quand peut-on s'autoriser à sortir de la structure en trois actes ?

Yves Lavandier : Réponse : jamais ! (rire général). Je pense que les auteurs ont non seulement besoin d'un Anneau unique, mais d'un Anneau unique très simple, facile à appliquer (rire général). Que ce soit avec mon livre, ou celui de Truby, dites-vous qu'il n'y a pas d'Anneau unique, que ce ne sera pas parfait. Faites votre deuil de ça.


On est venus pour rien ! (Rire général)

Yves Lavandier : Si vous repartez avec l'idée qu'il n'y a pas d'Anneau unique, c'est déjà énorme !


Rendez-vous pour la fin de la rencontre le 12 octobre !

lundi 6 octobre 2014

Rencontre avec Yves Lavandier - Partie 1

Le vendredi 16 mai 2014, Yves Lavandier est venu à la rencontre de CoCyclics pour une conférence-débat au Tea Corner, un salon de thé bien connu des membres du collectif, situé dans le 1er arrondissement de Paris. Jean-Sébastien, alias Sycophante, vous a retranscrit en détail les discussions qui s'y sont déroulées. Ces retranscriptions prendront la forme de trois articles postés les 6, 9 et 12 octobre.


Quand on est passionné par l'écriture et le cinéma, peut-on rêver plus belle rencontre ? Ancien élève du réalisateur Milos « Amadeus » Forman, Yves Lavandier est non seulement un scénariste/script doctor/réalisateur de talent, mais aussi l'auteur de l'ouvrage de référence La dramaturgie ainsi que de Construire un récit et Évaluer un scénario. La Dramaturgie est un livre vendu à 30.000 exemplaires et traduit en plusieurs langues. C'est donc non sans une certaine ferveur que j'ai couru rejoindre mes camarades d'écriture au sympathique Tea Corner (http://www.teacorner.fr).Yves Lavandier nous a tout de suite mis à l'aise avec son humour et sa gentillesse. Loin de vouloir nous donner des règles gravées dans le marbre en matière d'écriture, il nous a invités à être critiques dans nos questions.




Yves Lavandier : Bonjour à tous, je suis très honoré. J'ai lu attentivement vos questions, certaines m'ont poussé à réfléchir à des choses auxquelles je n'avais jamais pensé. Pour d'autres, je n'ai pas de réponses. Je trouve humain de vouloir chercher le bouquin parfait, unique, un peu comme l'anneau chez Tolkien, l'objet qui donne tous les pouvoirs. Mais le bouquin idéal n'existe pas. Il faut puiser à droite et gauche, prendre ce qui fait écho dans nos vies et dans notre pratique d'écriture.


Comment définir le conflit et le besoin de conflit dans un texte ?

Yves Lavandier : Le conflit existe dans la vie bien avant d'exister dans la fiction. Ce que j'appelle « conflit », c'est toute circonstance difficile de la vie qui engendre nécessairement frustration et, souvent, de l'anxiété. On va bien au-delà de la dispute ou de la bagarre, des images un peu primaires ou clichés du conflit. Le conflit, ça peut être un problème de choix. Exemple : un employé qui n'ose pas demander une augmentation à son patron. Le patron dit à son employé à quel point il est formidable, lui passe la pommade… Si vous ne savez pas que l'employé a envie de demander une augmentation, vous ne voyez pas de conflit dans la scène. Cela veut dire qu'il faut informer le lecteur ou le spectateur.

Quand ces circonstances sont vécues par des gens mûrs, sages, zen, elles n'engendrent pas anxiété et frustration. Vous pouvez, face à une difficulté de la vie, la prendre avec humour et/ou avec de la distance, avec philosophie : « C'est comme ça, c'est la vie. La vie commence avec du conflit et finit par du conflit, je vais m'enrichir de cette épreuve, de cette difficulté ». Auquel cas ce n'est pas vécu comme un conflit. Donc le conflit se définit aussi dans la façon dont il est reçu par celui qui le vit. Il ne suffit pas de mettre en scène le conflit, il faut montrer que ça affecte la victime. Si vous donnez une claque à quelqu'un, et que la personne répond « même pas mal », et qu'elle a l'air sincère, il n'y a pas de conflit. Dans ce cas de figure, le conflit est presque pour celui qui vient de donner la claque.


Mais si un personnage n'éprouve pas d'anxiété ?

Yves Lavandier : L'anxiété n'est pas systématique. Le personnage peut être juste frustré et pas anxieux. Mais en général quand on entreprend quelque chose, et que le résultat est incertain, il y a de l'anxiété qui se créé automatiquement. Mais oui, on peut vivre autre chose que de l'anxiété : la colère par exemple.


En fait, il faut un moteur pour pousser le personnage à faire quelque chose ?

Yves Lavandier : S'il entreprend quelque chose, il y a de l'anxiété, sauf s'il est sûr de réussir. Mais être sûr de sa réussite, c'est une pensée rare ! Le conflit le plus intéressant, c'est le conflit dynamique. On peut en effet vivre du conflit. La torture est une forme de conflit, mais pour moi ce n'est pas un conflit intéressant car c'est trop fort. C'est un conflit passif. Donc non seulement il faut du conflit dans un récit, mais il faut en plus qu'il soit bien dosé. Et qu'il génère de la dynamique. Le conflit est une condition nécessaire, mais ce n'est pas une condition suffisante. Il y a conflit et conflit. Alors comment définir le besoin de conflit dans un texte ? Il y a un symptôme assez classique dans certains récits, un fantasme d'harmonie de la part de l'auteur, par exemple une histoire d'amour banale dans laquelle tout se passe bien. La vie est faite de conflits, pourquoi ne pas en mettre dans nos fictions ? Je comprends les gens qui vivent un cauchemar dans leur vie quotidienne et qui voudraient de l'harmonie. Ils vont donc raconter une histoire où tout se passe bien, mais qui ne va pas passionner l'autre. Le conflit, c'est un outil de caractérisation, de crédibilité. Est-ce que quelqu'un pense ici que le conflit n'est pas omniprésent dans la vie ? Vous avez le droit de penser le contraire, vous serez respectés (rires). Vous, vous avez levé le doigt (rire général).


Je pense à l'exemple de Breaking Bad, avec le cancer de Walter White. Est-ce qu'un postulat de départ peut être considéré comme un conflit ?

Yves Lavandier : Le conflit principal de Breaking Bad, ce n'est pas le cancer. En l'occurrence, là c'est l'incident déclencheur. L'objectif de Walter White n'est pas anodin, il faut donc le motiver.


Et le conflit interne au personnage, lorsqu'il lutte contre lui-même, on est dans la même question ?

Yves Lavandier : Je parle de tout type de conflit, le conflit interne, c'est donc encore plus intéressant. Ce sont les conflits que je préfère. Il y a des exemples fascinants. Je me souviens, dans les années 80, d'un reportage sur les services de sécurité d'un supermarché. Avec leurs caméras, ils avaient repéré un petit vieux qui piquait des dictionnaires. Il avait fait quelque chose de mal, mais il vivait tellement de conflit à être arrêté, culpabilisé, menacé, que très vite je me suis identifié au petit vieux et mis à le plaindre. Cela aurait été un jeune, ça aurait été pareil. C'est celui qui vit le plus de conflit qui est, pour moi, le plus attachant.


Est-ce qu'on peut imaginer que, parce que le lecteur a davantage de connaissances que le personnage d'un récit, ce lecteur vive le conflit alors que le personnage ne le voit pas ?

Yves Lavandier : Bien sûr. C'est l'exemple de la bombe sous la table [1]. D'ailleurs, le conflit doit être prioritairement vécu par le spectateur, plus encore que par le protagoniste. Vous pouvez aussi combiner les deux. Dans Jean de Florette, Jean a du mal à faire vivre sa ferme. Il vit du conflit, de la frustration, de l'anxiété… Et en même temps, il est victime de la manipulation de Papet et Ugolin.


Comment expliquer un manque de conflit à un auteur sans le braquer, ni passer par l'impression de donner un cours magistral ?

Yves Lavandier : Pour ne pas braquer un auteur il faut dire "je". A priori le manque de conflit, souvent ça génère comme symptôme du « Je m'ennuie, je décroche… » L'auteur ne peut pas le discuter. Au pire, un auteur vraiment orgueilleux dira « tu décroches, d'accord, mais tu représentes une minorité de lecteurs, 95% des lecteurs trouveront ça passionnant". C'est là l'intérêt de ce que vous faites, des ateliers d'écriture : quand vous avez un lecteur qui ne comprend pas un texte ou s'est ennuyé, vous pouvez vous dire « bon, espérons que la majorité des lecteurs ne sera pas comme lui ». Mais quand dans un atelier d'écriture, et c'est imbattable, vous avez 4-5 personnes de sexe, d'âge, de culture différents qui disent « là je n'ai pas compris », vous ne pouvez plus vous échapper. Là ça vient forcément du texte, et non des récepteurs. Un autre moyen : rappeler à l'auteur que dans la vie il y a du conflit, probablement dans la sienne aussi, même pour le dalaï lama (rires). Face à un auteur qui ne comprend pas pourquoi il devrait ajouter du conflit dans son histoire, il pourrait être intéressant de lui demander de citer ses œuvres préférées. Il est quasi certain que ce seront des œuvres avec des conflits forts.


Et la fin d'une histoire ? Une fois qu'on a résolu le conflit dont on parle ?

Yves Lavandier : Cela dépend beaucoup du sens qu'on veut donner à une histoire. Il y a pas mal d'histoires qui se terminent par un échec : Cyrano n'arrive pas à séduire Roxane. Pour le coup, Rostand conclut triplement : Cyrano échoue, ensuite Rostand résout son ironie dramatique, ce qui est la moindre des politesses, et en plus il fait mourir son personnage (rires).
Mais on peut imaginer que Roxane retrouve… ah non, Christian est mort aussi (rires) ! Et en plus elle rentre dans les ordres (rires). Mais après ça dépend des histoires. Si l'un des personnages s'est enrichi, a grandi, c'est déjà formidable. On n'est pas obligé de laisser entendre que tout finit bien comme dans un conte de fées. Parfois on peut grandir et échouer. Ou échouer et grandir. C'est le cas du Roi Lear, de Rain Man… Tout dépend du sens qu'on veut apporter à l'histoire. Beaucoup de comédies se terminent avec l'idée que la vie continue avec son lot de conflits.


Même si on dote son récit de nombreux conflits, ce n'est pas pour autant qu'on réussira pour autant à accrocher le lecteur. Y a-t-il une astuce pour gagner en suspens et en tension dans les scènes de conflits ?

Yves Lavandier : Je pense que si vous mettez du conflit dynamique il y a des chances pour que vous accrochiez le lecteur. Un truc vachement important : être clair, être vraisemblable, respecter l'unité d'action, renseigner le lecteur, lui expliquer les tenants et les aboutissants, le faire participer. Je n'aime pas beaucoup les mystères. Je trouve que c'est un manque de confiance dans un récit.




Y a-t-il une astuce pour gagner en suspens ?

Yves Lavandier : Mettre de l'enjeu. C'est un truc que beaucoup d'auteurs oublient.


Je n'arrive pas à voir concrètement ce qu'est l'enjeu ?

Yves Lavandier : C'est une bonne question. Qu'est-ce que l'enjeu ? Pour un pompier qui lutte contre un incendie, l'enjeu c'est la maison. C'est un objet, une émotion, la vie, la dignité, l'honneur… Pour définir l'enjeu, c'est très simple. Posez-vous la question : qu'est-ce que mon protagoniste a à gagner ou à perdre ? Son honneur ? 100.000 euros ? Ce qui est mis « en jeu ». Parfois l'enjeu n'a pas besoin d'être explicité : si le personnage est attaqué à coups de mitraillettes, on comprend que l'enjeu, c'est sa vie. Parfois, ça a besoin d'être clarifié. D'autant plus que souvent l'enjeu est lié aux motivations. On peut vouloir gagner beaucoup d'argent pour payer une opération à sa vieille mère, et puis on peut vouloir gagner beaucoup d'argent pour s'acheter une cinquième Porsche. Qu'est-ce que mon protagoniste a à gagner ou à perdre ? Si la réponse est « rien », vous avez un problème d'enjeu.


Dans un roman, n'y a-t-il pas un risque à tomber dans une accumulation de péripéties à force de vouloir entretenir du conflit ?

Yves Lavandier : Ben oui, mais on peut mettre du conflit sans accumuler les péripéties. D'ailleurs Breaking Bad est un très bon exemple : les scénaristes arrivent à remplir 5 saisons avec très peu de personnages, aucune sous-intrigue, à part celle du beau-frère qui travaille pour les stups, mais elle est complètement liée à l'intrigue principale. C'est différent d'Un village français, que j'aime beaucoup, de Desperate Housewives ou Downton Abbey, des séries avec beaucoup de personnages principaux, donc forcement beaucoup de sous-intrigues. Là vous êtes obligé d'enchaîner les nœuds dramatiques et d'accumuler les péripéties. Si vous vous contentez de peu de personnages et de peu d'intrigues, et que vous avez des heures et des heures à remplir, il suffit de milker. Pour ceux qui ne se souviennent pas de « milker », chapitre 7 (rires), « exploiter, faire mousser ».


Le conflit est-il primordial en littérature ?

Yves Lavandier : Peut-être moins qu'en dramaturgie. Je pense - et je sais que vous avez des contre-exemples, qu'il est quand même assez rare qu'un lecteur ouvre un bouquin et le lise d'une traite pendant quatre heures ou cinq heures. En général, on les lit les œuvres en plusieurs fois. Un film ou une pièce, a priori, ça prend d'un seul coup deux heures de notre vie. Cela implique plus de rigueur. Quand vous allez acheter le DVD de La Mort aux trousses, vous n'allez pas le voir en quinze fois.

Exemple : l'unité d'action. J'ai toujours pensé qu'elle était plus importante dans le récit dramatique voué à être vu (théâtre, cinéma) que dans le récit littéraire voué à être lu. Maintenant, est-ce que parce que vous écrivez un roman vous pouvez vous permettre des digressions soporifiques ? Je ne suis pas sûr.


Sauf que pour une série télévisée cela s'applique moins…

Yves Lavandier : Parce que c'est beaucoup plus long. Mais, pour autant, vous ne regardez pas un épisode en 15 fois !


Cela dit on retrouve parfois le même schéma sur l'ensemble d'une saison en plusieurs épisodes.

Yves Lavandier : Oui.


Cela peut correspondre au schéma d'un film ou d'un roman.

Yves Lavandier : Exactement. C'est d'ailleurs pour ça que dans les séries télévisées, il y a plusieurs unités d'action. Souvent, chaque épisode contient sa propre unité d'action. Si c'est bien foutu, vous ne regardez pas l'épisode en quatre fois. Souvent vous en regardez même un deuxième… Pour finir sur le conflit, la question la plus intéressante, mais personne ne la pose (rires) c'est : « pourquoi n'ai-je pas envie de mettre du conflit dans mon récit ? » Posez-vous cette question. Je ne pense pas qu'on écrit pour échapper à sa vie. Cela ne peut pas être la seule motivation. C'est un gros débat.


J'aimerais revenir sur le lien entre enjeu et tension s'il vous plaît.

Yves Lavandier : Plus il y a d'enjeu, clair, exploité, logiquement plus il y a d'identification, de suspens, de tension etc.


L'enjeu lui-même, ce n'est pas lui qui créé la tension ?

Yves Lavandier : Après ça dépend ce que vous appelez la tension. C'est quoi la tension pour vous ?


C'est ce qui accroche le lecteur et lui permet de… de tenir jusqu'au bout.

Yves Lavandier : Eh bien si, c'est lié à tous ces éléments. Conflit dynamique, enjeu…


La Dramaturgie et Évaluer un scénario ont été, à la base, plutôt écrits pour les scénaristes appartenant au monde du cinéma. En quoi vos ouvrages peuvent-ils aider un romancier étant donné que celui-ci utilise un média par nature très différent ?

Yves Lavandier : C'est une bonne question, je vous la pose parce que moi j'en sais rien du tout (rires). Peut-être qu'ils ne servent à rien, je ne sais pas… Non mais il y a quand même une logique à ce que mes livres soient utiles aux romanciers. Je suis persuadé que la dramaturgie, le récit, la narration préexistent au théâtre, au cinéma, à la littérature. Cela existe dans la vie. Le jour où on apprend que DSK est arrêté à New York, vous avez un incident déclencheur. Le feuilleton démarre avec une caractérisation, de sacrés enjeux, des coups de théâtre, un climax, du suspens pour ceux qui s'intéressent au destin de DSK etc. Vous ouvrez le JT, vous avez de la dramaturgie. Donc si vous vous attachez à raconter une histoire, logiquement, dès que vous racontez des aventures humaines, forcément il y a plein de passerelles. Je cite très peu de références littéraires dans la dramaturgie parce que ma culture littéraire est faible. En fait, ma motivation de départ, c'est qu'on me raconte une histoire. J'ai lu des romans qui m'ont passionné, même si j'en ai pas lu beaucoup, j'adore les contes de fées. Je ne sais pas à quand ça remonte. Tout bébé déjà, j'adorais qu'on me dise mes quatre mots préférés dans la langue française : « Il », « était », « une » et « fois ». Je ne veux pas généraliser, mais je pense qu'on est tous un peu pareils. Quand je m'assois dans une salle de cinéma, de théâtre ou devant une série télé, il y a une espèce de frisson. J'espère que ça va être bien raconté, j'ai envie d'être embarqué. À partir du moment où vous racontez des aventures humaines, il est logique que les outils du récit vous soient utiles. Et il est logique qu'il y ait du conflit. Je vais vous bourrer le crâne avec le conflit (rires).


Quelles sont les différences entre l'écriture d'un synopsis pour un roman et l'élaboration d'un scénario pour le cinéma ?

Yves Lavandier : Je n'en sais rien (rires). Je n'en sais rien car je ne vois pas comment on peut comparer un synopsis pour un roman, et un scénario pour le cinéma. Ah oui, « l'élaboration d'un scénario pour le cinéma »… La méthode que je propose dans Construire un récit, avec le principe des fondations, ça peut très bien fonctionner pour un roman. Moi j'aime pas les synopsis en général. Les synopsis, je les écris parce que les jurys et les comités de sélection les demandent.


Les auteurs n'aiment pas les synopsis non plus… (Rires nerveux dans la salle).

Yves Lavandier : Un synopsis, c'est aberrant ! C'est comme si on demandait à un réalisateur de faire sa bande-annonce avant de tourner le film, c'est débile. Moi je le fais en général après que le scénario a été écrit, et en plus je ne vais pas jusqu'à la fin. Je pense que c'est beaucoup de paresse de la part des gens qui réclament un synopsis. Soit ils n'ont pas envie de lire le scénar, ils ont juste envie de savoir de quoi ça parle. Soit ils en lisent 40 avant de se réunir pour attribuer les aides et, c'est légitime, ils sont un peu perturbés, donc ils reviennent au synopsis. Sinon, dans la méthode que je propose, Construire un récit, vous noterez qu'il n'y a pas de synopsis.
Maintenant, si vraiment on vous en réclame un pour financer l'écriture, avant que le roman soit terminé, faites au moins ce que j'appelle « les fondations » pour savoir ce que ça raconte, jusqu'où vous allez, comment ça se termine, etc. À partir de là, ça vous aidera à écrire un synopsis. Dans les deux cas je ne vois pas de différences, que ce soit pour le cinéma ou pour le roman.


Pour les éditeurs, on parle de synopsis qui sont exigés après le roman…

Yves Lavandier : Ah bon ! Et ça sert à quoi ?


Quand les auteurs envoient leurs manuscrits, les éditeurs veulent savoir où va l'histoire, les enjeux, les personnages…

Yves Lavandier : Ouais… Eh ben alors c'est pas compliqué d'écrire un synopsis (rires nerveux dans la salle). Quand je fais du script doctoring, je demande systématiquement la note d'intention et le synopsis, mais je les lis après. Je lis d'abord le scénario. Les différences entre ce que disent le synopsis et la note d'intention, d'un côté, et ce que dit le scénario, de l'autre, sont très éclairantes. Il y a souvent un décalage entre ce que l'auteur croit avoir mis, entre la pensée et sa traduction. On peut se dire « c'est normal, il y a toujours un décalage, c'est logique ». Mais parfois, même entre le synopsis et le scénario il y a des différences. Il y a des choses qui sont dans le synopsis et qui ne sont pas dans le scénario. L'auteur n'en a pas toujours conscience.


Fin de la première partie... rendez-vous dans trois jours pour la suite !

Notes
[1] Exemple célèbre d'Alfred Hitchcock. Tandis que des personnages discutent tranquillement, la caméra montre une bombe sous une table. Alors que les protagonistes sont inconscients du drame qui se joue, les spectateurs ressentent une grande tension.

mercredi 1 octobre 2014

Nouveau partenariat avec Rivière Blanche !

Le collectif est très fier de vous annoncer un nouveau partenariat :




La parole est à Philippe Ward :

Rivière Blanche est une collection de la maison d'édition Black Coat Press dirigée par Jean-Marc Lofficier. Rivière Blanche a un site internet : http://www.riviereblanche.com.

Rivière Blanche est une micro-édition gérée bénévolement par Jean-Marc Lofficier et Philippe Ward, grands amateurs de SF et d'imaginaire, à partir d'une idée directrice : relancer une certaine forme de littérature populaire en publiant d'anciens manuscrits retenus par le Fleuve Noir avant que le changement de direction littéraire n'impulse une autre direction à ses collections et ne rende les manuscrits aux auteurs. Le nom "Rivière Blanche" a, bien entendu, été choisi en hommage au Fleuve Noir. À côté de ces livres des "grands anciens" de la SF, Rivière Blanche s'est également donné pour mission de publier des ouvrages plus variés et de découvrir notamment de jeunes auteurs.

Nous avons quatre collections :
  • Blanche : SF ; Anticipation, des inédits des grands anciens du Fleuve noir Richard Bessière, Louis Thirion, M.A. Rayjean, Daniel Piret, Piet Legay, Claude Legrand, Jimmy Guieu, G. Morris, mais aussi des grands noms de la SF française, Jean-Marc Ligny, Jean-Pierre Andrevon, P.J. Herault, Hughes Douriaux, Michel Pagel, François Darnaudet, Patrick Eris, Daniel Walther, J.-M. Calvez, Francis Valéry, Rachel Tanner, etc., et de jeunes auteurs comme Eric Boisseau, Bruno B. Bordier, Laurent Whale, Simon Sanahujas, John Lang, Thomas Geha, Sellig, Alain Blondelon, Philippe Heurtel, etc.
    La Rivière Blanche met un point d'honneur à publier tous les ans de jeunes auteurs dont c'est le premier roman ou un premier recueil de nouvelles.
  • Noire : Fantastique. Réédition des 18 volumes de Mme Atomos, la série les compagnons de l'ombre (9 volumes à ce jour), parution d'inédits de Gilles Bergal, Philippe Ward, Kurt Steiner, David S Khara, Jacques Sadoul, Micky Papoz, E. Maia, C. Siebert, Dominique Rocher, et aussi des recueils de nouvelles fantastiques de Richard Nolane, Charlotte Bousquet, Patrick Eris, François Darnaudet.
  • Bleue : domaine étranger avec la collection DIMENSION. Nous avons parlé de la SF hispanique, latino-américaine, soviétique, russe, suisse, nous avons publié des auteurs cubains (Yoss), américains (Schekley et Tubb), russes (Boulytchev) britanniques (Stableford), espagnols (Quesada), rendu hommage à des auteurs français (Dorémieux, Guieu, Hubert), publié des anthologies thématiques (Capes et esprits, Les enfants de Masterton, Super Héros).
  • Baskerville : dirigée par Jean-Daniel Brèque, qui a pour but de redonner vie à des romans français ou anglo-saxons libres de droits. Avec des auteurs comme Mrs Oliphant, G. Allen, R. Barr, R. March.

Rivière Blanche publie en édition à la demande (tirage à la demande en petites quantités) et vend principalement via internet à tous les amateurs "orphelins" d'Anticipation, mais aussi à de nouveaux lecteurs qui découvrent le plaisir de lire cette SF populaire que nous aimons tant. Nous n'avons de distributeur mais nous sommes cependant présent chez plusieurs librairies "partenaires". Par ailleurs, nous sommes largement présents dans les festivals français de SF, ce qui permet un contact convivial avec les amateurs qui suivent nos collections.

Nous ne gérons pas comme les maisons d'édition classiques, les tirages de départ, les stocks et la réimpression. Les ouvrages sont imprimés par Lightning Source (Royaume-Uni), pour un premier tirage de cinquante d'exemplaires. Ensuite, nous pouvons réaliser des retirages en fonction des ventes, mais toujours par petites quantités. Un ouvrage est ainsi toujours disponible au catalogue de Rivière Blanche ; la vente d'un titre se fait donc dans la durée, plutôt que dans l'instant, sur quelques mois, comme c'est désormais le cas pour les sorties de plus grandes maisons d'édition.

Nous avons un contrat qui laisse tous les droits aux auteurs : les auteurs reçoivent 50 % du prix de chaque ouvrage vendu. Nous payons nos auteurs tous les trimestres. Bien entendu, les auteurs peuvent acheter des exemplaires de leurs titres avec une réduction de 50 %.

Comme vous pouvez le constater, Rivière Blanche est avant tout une démarche de passionnés, d'amateurs (au sens le plus noble du terme), et ne fonctionne pas suivant le même modèle qu'une maison d'édition traditionnelle. Certes, nous avons de petits moyens mais la structure est rentable et chaque centime est réinvesti dans la production des ouvrages suivants.


Merci beaucoup Philippe Ward et l'équipage naviguant de la Rivière Blanche pour cette confiance !