lundi 16 février 2015

Financement participatif : Scylla

Trois maisons d'édition ont actuellement recours au financement participatif pour soutenir la publication de leur revue (les Moutons électriques et Mythologica) ou leur lancement (Scylla). Tintama(r)re a voulu en savoir plus et a donc contacté lesdites maisons d'édition.
Après les réponses de Mythologica la semaine dernière, voici celles des éditions Scylla !

À la fin de l'année 2014, la librairie parisienne Scylla a officiellement démarré une activité d'édition pas tout à fait comme les autres. En effet, les éditions Scylla proposent l'acquisition de leurs premiers titres sous une forme de financement participatif. Tintama(r)re est donc allé à la rencontre de Xavier Vernet, le fondateur des éditions Scylla, qui est aussi l'un des associés de la maison d'édition associative Dystopia et de la librairie Charybde à Paris.

Tintama(r)re : Pourquoi avoir fait le choix du financement participatif pour le lancement des éditions Scylla ?

Xavier Vernet : La librairie Scylla n'a aucune trésorerie et n'en a d'ailleurs jamais vraiment eu depuis sa création en 2004. Dans le meilleur des cas, une fois payé le loyer, les fournisseurs et mon salaire (quand c'est possible), il ne me reste rien sur le compte de la librairie à la fin de l'année. Or, pour lancer n'importe quelle activité, il faut du capital et du travail. On peut compenser le manque de capital par du travail mais pas le remplacer complètement. Surtout lorsqu'on veut rémunérer décemment tous les intervenants : auteur, traducteur, maquettiste, illustrateur, correcteur, imprimeur, relieur, webmaster...
Dans le contexte économique actuel, il me semblait plus logique de lancer une petite activité éditoriale (1 ou 2 titres par an) pour compléter et consolider l'offre de la librairie plutôt que de vendre des produits dérivés, par exemple.
L'expérience Dystopia prouve qu'on peut éditer différemment et trouver son public. Nous rétribuons tout le monde sauf notre travail éditorial (c'est-à-dire le choix des textes, le travail avec les auteurs, la commercialisation). Les éditions Scylla, c'est pour passer à l'étape suivante : payer cette partie qui, chez Dystopia, ne l'est pas.


Pourquoi ne pas avoir utilisé une plateforme de plus grande envergure (Kickstarter, Ulule…) puisqu'elles confèrent davantage de visibilité à un projet ?

Les plateformes « grand public » offrent, il est vrai, une meilleure visibilité. En théorie. On est aussi vite noyé dans la masse (comme un micro-éditeur l'est sur le site d'Amazon ou de la FNAC). Ensuite, le coût n'est pas négligeable puisque ils prennent une dizaine de pour cents des sommes récoltées.
Ces plateformes sont parfaites pour lancer un projet sans être connu ou sans avoir de communauté. Or la librairie Scylla existe depuis 11 ans et Dystopia est une association à but non lucratif à laquelle je participe depuis son lancement en 2009 et qui a publié 13 tires à ce jour. La librairie Charybde, quant à elle, fêtera en juin prochain ses 4 ans d'existence. La communauté existe donc déjà. Je la connais et elle connaît ma façon de voir et de défendre la littérature, la librairie et l'édition.
Je travaille depuis plusieurs années avec Clément Bourgoin, webmaster entre autres des sites Scylla, Charybde, Dystopia ou encore Le Bélial. Il a créé et animé pendant 5 ans la librairie virtuelle Ys et a développé Biblys, un outil web parfait pour les petites structures comme les nôtres : un seul site regroupe votre base bibliographique, votre blog, votre logiciel de comptabilité de caisse et de vente par correspondance. Cet outil évolue aussi en fonction de nos besoins. Quand on a commencé à évoquer ensemble le financement participatif pour les éditions Scylla, il m'a dit qu'il pouvait sans problème développer une plateforme maison. C'est chose faite. Nous avons lancé la première campagne le 1er décembre dernier et elle durera jusqu'au 28 février 2015.


Comptez-vous réutiliser ce modèle pour les futures publications des éditions Scylla ?

Oui, mais pas systématiquement. Le financement participatif est un excellent outil mais à trop l'utiliser, on saturera vite les contributeurs potentiels.
De mon point de vue, ce n'est rien d'autre que de la souscription améliorée : les contributeurs n'attendent pas un retour sur investissement, ils souhaitent juste qu'un projet se concrétise. Certains sont prêts à payer plus, d'autres à payer juste la valeur du livre (qu'il soit papier ou numérique). Tout le monde peut y trouver son compte. C'est aussi, en fin de compte, du mécénat à la portée de tous. Mais y avoir recours à chaque fois serait trop risqué. Je pense faire appel à la contribution une année sur deux.


Comment trouver l'équilibre entre les contreparties pour les donateurs et la publication des livres ?

Je suis parti du principe qu'il ne fallait pas vendre ce qui est habituellement offert. Un marque-page, une rencontre avec l'auteur, tout ça est gratuit et doit le rester.
Ensuite, j'ai mis très peu de goodies dans les contreparties. Je privilégie l'œuvre avant tout. Je suis libraire, je veux vendre des livres, pas des pins's. Donc, je suis logiquement parti du moins cher, les livres en version numérique et ensuite constitué chaque palier en essayant de penser à tous les cas de figure.
J'ai opté pour vendre ensemble la novella Il faudrait pour grandir oublier la frontière de Sébastien Juillard et la réédition du roman Roche-Nuée de Garry Kilworth jusqu'au palier à 100 € (la première version reliée) afin de ne pas favoriser l'un par rapport à l'autre. Je tiens à ce que les deux existent.
Pour les versions reliées, j'ai rencontré Benjamin Berceaux quand il étudiait la reliure d'art. Son projet de fin d'étude était de créer une reliure/coffret pour une œuvre de son choix. Il a travaillé sur l'intégrale des nouvelles de Dick. J'ai trouvé son approche passionnante et je me suis promis de travailler avec lui dès que l'occasion se présenterait. C'est maintenant chose faite, du moins si on arrive au fameux 100%, ne vendons pas la peau de l'ours…


Puisque la maison fonctionne sous un modèle de financement participatif, qu'est-ce que les éditions Scylla apportent de plus à un auteur qui pourrait lancer sa propre campagne de financement participatif pour son livre ?

Un éditeur doit faire deux choses : publier et commercialiser. Publier, c'est avant tout faire des choix. Et une fois que le choix est arrêté sur un texte, c'est travailler avec l'auteur pour que celui-ci soit le meilleur possible tant sur la forme que sur le fond. Commercialiser, c'est aider ce livre à trouver son public, et ce sur le long terme.
L'un comme l'autre ne relèvent pas du travail de l'auteur. Il peut choisir de le prendre en charge mais je pense que c'est une perte de temps et d'énergie pour lui.


Danae Ringelmann, co-fondatrice d'Indiegogo, a affirmé qu'il n'y a pas de meilleure indication de l'état du marché qu'une campagne de financement participatif. En effet, selon elle, même si une campagne de financement ne fonctionne pas, elle permet d'obtenir un retour direct des consommateurs. Êtes-vous d'accord avec cette assertion ?

Ce n'est pas seulement le crowdfunding qui permet le retour direct des clients (je n'aime pas « consommateurs »), c'est Internet.
Internet permet et ce, même pour un marché de niche comme la littérature de genre – de trouver vos clients potentiels et ensuite de pouvoir dialoguer avec eux où qu'ils soient. La librairie Scylla s'est lancée grâce à Internet et c'est grâce à Internet qu'elle existe encore aujourd'hui. Le financement participatif n'est qu'un moyen supplémentaire de dialoguer :
« – J'ai un projet qui mérite d'exister.
– Je veux/vais t'aider. »
Pour la campagne des éditions Scylla, on reste dans un marché de niche. J'estime qu'il me faudra entre 200 et 300 personnes pour récolter les 10000 € qu'il faut à ce double projet. Que je réussisse ne signifie pas que le marché de l'édition de SF va bien. Juste que quelques dizaines de personnes souhaitent comme moi que ces livres voient le jour.

Pour aller plus loin sur cette idée, c'est aussi ça que permet Internet : ne pas s'occuper de ce que « veut acheter » la majorité mais considérer que la minorité existe et constitue aussi un marché viable.


Merci à Guillaume Parodi, qui a réalisé cet entretien pour Tintama(r)re !

Notes et liens :

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