mercredi 23 mars 2011

Tables rondes et bonds sur nénuphars

Chers lecteurs grenouilles,

Pour la troisième et dernière fois nous vous invitons à revivre, un peu, le festival Zone Franche 2011, en revenant sur la conférence « L’aide aux jeunes auteurs – le collectif CoCyclics ».

Mais tout d’abord, en complément des vidéos de la première conférence « Agents littéraires et auteurs, comment travailler ensemble ? » (partie 1 et partie 2)*, les grenouilles qui y ont assisté vous conseillent fortement de vous jeter sur deux documents indispensables, à la fois si l’on s’intéresse au sujet et si l’on est auteur soi-même :
- L’enquête de Juliette Joste : « l’agent littéraire en France : réalités et perspectives », disponible sur le site du Motif. D’ailleurs vous pouvez fouiller le site pour en apprendre plus sur le monde littéraire ;
- Le contrat d’édition al dente établi par la Charte et Adagp, que vous pouvez télécharger également gratuitement : un guide didactique et simple sur les contrats d’édition (et là aussi vous pouvez allègrement voyager et apprendre sur ce site)



Maintenant, l’équipe du blog remercie sincèrement une de ses charmantes membres, Aelys, pour avoir retranscrit la conférence « L’aide aux jeunes auteurs – le collectif CoCyclics ». Nos bêta-lecteurs (et intervenants) se sont permis de corriger, de-ci, de-là, afin d’affiner et de clarifier leurs propos.
Bonne lecture !


Festival Zone Franche – Bagneux
L’aide aux jeunes auteurs – le collectif CoCyclics

Participants :
Animatrice : Stéphanie Nicot
Éditeurs : Stéphane Marsan (Bragelonne) et Magali Duez (Griffe d’Encre)
Permanents : Silène, Paul Beorn et Nadia Coste


CoCyclics , c’est quoi ?

Nadia Coste : De jeunes auteurs et lecteurs qui s’entraident pour améliorer leurs manuscrits, sur internet : cela fonctionne sur le principe du donnant-donnant. On insiste sur le principe : « commenter, pas corriger ». L’auteur reste le maître de son texte, c’est lui qui choisit s’il souhaite intégrer les commentaires de ses lecteurs dans ses corrections.

Comment ont réagi les éditeurs face au GGG ?

Paul Beorn : Cela a été assez varié. Certains ont répondu tout de suite, d’autres ont attendu des relances ou qu’on les coince sur leur stand à un salon, d’autres encore n’ont jamais répondu (mais nous les avons quand même inclus dans une liste d’éditeurs possibles).

Comment s’intègre-t-on au collectif ?

Silène : Je vais raconter mon parcours, parce qu’il me semble assez typique. Je suis arrivée sur CoCyclics après avoir rencontré Syven, sa fondatrice. J’y ai découvert le monde de l’imaginaire et, surtout, le principe d’entraide entre auteurs : pour la première fois, je pouvais me dire que je n’étais plus toute seule, dans mon coin. C’était merveilleux.

Nadia Coste : Pour ma part et comme beaucoup, j’avais un roman écrit, terminé. Je recevais des lettres types de refus et j’ai réalisé que j’avais besoin d’aide : j’ai commencé à me dire que mon roman devait avoir un problème, que je ne pouvais pas être systématiquement hors ligne éditoriale. J’ai alors découvert le forum, qui m’a permis de recevoir les ressentis des lecteurs, de les percevoir et de les utiliser pour avancer.
Quand un roman est soumis en cycle, la question posée est : pouvons-nous l’aider ? Pour le mien, la réponse a été positive. J’ai reçu une première lecture de fond, intégré les corrections, avant de recevoir une seconde lecture, centrée sur la forme cette fois, commentant les moindres virgules. Après avoir intégré ces corrections, mon roman avait subi une énorme évolution : il était prêt à retenter sa chance auprès des éditeurs. Le résultat a été là puisque ce roman est maintenant publié.
La durée d’un cycle est, en moyenne, de six mois à deux ans, selon les disponibilités des bêtas et la rapidité de travail de l’auteur.
Aujourd’hui, environ dix manuscrits passés en cycle sont en passe d’être publiés.

Qu’est-ce que CoCyclics apporte aux jeunes éditeurs ?

Magalie Duez : Nous avions fermé les soumissions de manuscrits car nous n’avions plus le temps de lire la masse que nous recevions. Mais nous avions tout de même envie de trouver de nouveaux auteurs, nous ne souhaitons pas continuer à vivre de notre vivier d’auteurs : or, on sait que les romans CoCyclics ont déjà été travaillés. On gagne ainsi beaucoup de temps, et nous avons la possibilité de donner une chance à un jeune auteur, comme nous le souhaitions.

Stéphane Marsan : CoCyclics résout les problèmes des éditeurs qui ne peuvent pas publier de nouveaux auteurs français. Chez Bragelonne, nous avons 45 employés à payer, les jeunes auteurs sont trop coûteux, en temps et en argent. Cela demande également d’avoir le moral : très peu de manuscrits sont sélectionnés sur la masse reçue. Une éditrice anglaise avoue n’avoir publié aucun manuscrit reçu ainsi en dix ans de lecture assidue : elle a employé l’expression, très juste, de « disheartening ». Car ça ne nous amuse pas de ne pas sélectionner des manuscrits : au contraire, on a envie d’en trouver un bon, de trouver un moyen de le retravailler. Il arrive parfois qu’on se force à le trouver bon, jusqu’à ce que quelqu’un d’autre y jette un coup d’œil et nous dise qu’il n’en vaut pas la peine. À la création de Bragelonne, on voulait publier 50 % d’auteurs français : en fait on n’en a pas reçu assez de bons. On s’est donc rabattus sur des romans à traduire, qui existaient déjà.
Il ne faut pas oublier qu’une maison d’édition est une entreprise, et que le livre doit se vendre. On ne peut pas publier n’importe quoi.
Au départ, j’ai été assez sceptique sur le projet de CoCyclics. Nous avons eu de longs débats car nous n’étions pas d’accord, mais aujourd’hui, je le considère comme un véritable miracle, une entreprise unique au monde : des compétences très diverses, et parfois pointues, sont mises en commun pour travailler, sans que personne ne gagne un sou ! Cela m’a paru un peu utopique, et les américains nous riraient au nez si on leur expliquait le concept. Mais aujourd’hui, j’ai établi un partenariat avec CoCyclics car le collectif est la garantie d’une lisibilité d’un manuscrit (99 % des manuscrits reçus par la poste sont tout simplement illisibles). Tout le monde ne sait pas écrire un roman. CoCyclics permet de réduire l’expérience qui arrache le cœur, et grâce à cela, je me suis remis à lire des manuscrits de jeunes auteurs, non seulement de CoCyclics mais également d’autres. J’ai récemment signé quatre contrats avec de nouveaux auteurs français. Pour en venir au speed-dating d’Epinal : c’est là que je me suis rendu compte qu’il se passait quelque chose. Sur huit entretiens de dix minutes, j'ai repéré trois talents indéniables, dont un a signé un contrat : l’édition de l’imaginaire francophone est en train de muter. Et je pense que CoCyclics a un rôle majeur dans cette mutation, parce qu’il foisonne de gens gentils, disponibles et intelligents.
Un problème reste : que se passe-t-il quand le travail est fini, qu’il faut chercher un éditeur ? C’est un autre travail que le collectif se défend de faire, mais le charme et la persévérance de ses membres aident beaucoup, il faut le dire : quand on leur dit qu’on n’est pas convaincu par le roman estampillé, ils ne disent pas « bon, d’accord », croyez-moi !
Cependant, si le roman est retravaillé mais ne plaît à aucun éditeur parce qu’il n’est pas dans l’air du temps, cela valait-il vraiment le coup ?

Le problème de la durée : y a-t-il une relève pour CoCyclics, envisagez-vous une professionnalisation ?

Silène : Oui, il y a une relève. Nous sommes 600 sur le forum ; certains partent, beaucoup restent. Ce sont autant d’autres auteurs qui seront peut-être publiés un jour.
Pour la professionnalisation, ce n’est pas l’ambition de CoCyclics en soi : c’est un collectif qui reste pour les jeunes auteurs, nous y tenons. C’est d’ailleurs un modèle de travail libre, que chacun peut copier s’il le souhaite, nous pouvons même les aider. S’il devait y avoir professionnalisation, ce serait de la part de certains membres du forum, mais en dehors du collectif en lui-même.

Paul Beorn : Pour nous, il est hors de question de parler d’argent : les gens viennent pour autre chose, parce que l’idée est belle. Et quand bien même : qui devrait être payé, et comment ? On donnerait deux-trois euros à chaque bêta-lecteur ? Où les trouverait-on ? Nous sommes motivés par la volonté d’améliorer nos textes avant tout, pas par l’argent.

Nadia Coste : En effet, les choses qui ne fonctionnent pas chez les autres sont plus visibles. Tout le monde est capable de les repérer, car tout le monde est lecteur, et peut exprimer son ressenti de lecteur. Après, on les voit également mieux dans nos propres textes, et cela nous permet de progresser : la bêta-lecture est vraiment profitable en tant que jeune auteur.

Magalie Duez : J’ai déjà travaillé (sans le savoir) avec des grenouilles pour une anthologie : je commence à les repérer, parce que les textes sont souvent plus travaillés.

Il faut quand même dire que ce travail d’émulation existait déjà avant, et que CoCyclics s’inscrit dans une tradition d’entraide et de solidarité (notamment avec la revue Galaxie). En quoi Internet a-t-il changé la donne ?

Nadia Coste : Avant, si on ne connaissait pas le milieu, ou d'autres auteurs près de chez nous, on était très seul. Avec CoCyclics, il n’y a plus ce critère géographique : on peut utiliser des compétences très diverses, qui viennent de partout dans le monde.

Silène : L’anonymat est également important. On rentre dans le collectif pour travailler, pas par copinage, même si des liens peuvent se nouer ultérieurement. Cela reste une relation de travail. Internet permet de faire plus de rencontres au départ, on prouve qu’on peut corriger son texte en collaboration avec des gens qu’on ne connaît pas.

Paul Beorn : Certains refusent le programme de CoCyclics : quelques-uns sont partis en claquant la porte, d’autres travaillent mieux tout seuls. Certains ne reviennent jamais après le choc des premiers retours : même s’ils sont toujours faits gentiment grâce à un énorme travail de modération (on ne bêta-lit pas n’importe comment), recevoir son texte bariolé de commentaires n’est jamais facile. Mais certains restent depuis des années, parce qu’ils s’y sentent bien, et qu’ils veulent transmettre ce qu’ils ont appris, même s’ils ont moins besoin de bêta-lecture qu’au départ.

Stéphane Marsan : Dans le système de CoCyclics, il n’y a pas non plus le système des grands aînés qui parrainent les petits jeunes : on trouve beaucoup de gens, dont certains n’ont aucun rapport avec la littérature. Chacun a sa légitimité. Cela désacralise la relation un peu floue entre auteur et éditeur, car CoCyclics y échappe : quand on est éditeur, on ne sait pas tout faire sur un texte. On doit être capable de dire qui a fait quoi à l’auteur, alors qu’avec CoCyclics, il y a une sorte d’ombre préliminaire jusqu’à la décision de l’éditeur, c’est-à-dire la signature du contrat.
Une de mes premières questions a été « Vous êtes qui pour pouvoir prétendre faire ce travail ? ». C’est, à mon sens, un des problèmes de l’édition française aujourd’hui, bien trop sacralisée. Ici, on trouve une légitimité pour chacun.

Magalie Duez : CoCyclics apporte aussi une habitude de travail, qui évite les problèmes avec l’éditeur lors de la phase de travail. Et cela apprend également à défendre son texte pour les auteurs qui sont trop peu sûrs d’eux.

Et maintenant ?

Silène : On continue de la même façon : soutien des cycles, de ceux qui soumettent, de ceux qui écrivent. Nous entretenons des relations personnelles entre auteurs, nous discutons, nous comparons nos expériences, mais le but n’est pas de tirer à boulets rouges sur qui que ce soit !

Nadia Coste : Nous évoluons toujours même si le système a fait ses preuves : nous allons toujours vers plus d’efficacité, nous travaillons ensemble pour faire ça le mieux possible.

Paul Beorn : C’est une façon aussi de se soutenir, dans l’attente des réponses, on se rassure, on partage nos angoisses.

Nadia Coste : Ne pas être seul dans cette aventure-là est une force.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire