samedi 24 septembre 2011

Émile Delcroix : de l'idée à l'édition !

Suite à la sortie numérique d'Émile Delcroix et l’ombre sur Paris, Jacques Fuentealba a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions. Merci à lui de nous éclairer sur le parcours éditorial de son livre !


Comment en es-tu venu à écrire Émile Delcroix et l’ombre sur Paris ?


Pendant très longtemps, j’ai eu un rapport assez particulier au steampunk. Je trouvais le genre en lui-même génial, avec ce mélange de savants fous, d’Histoire distordue, d’hommes politiques, penseurs, artistes « réels » côtoyant des personnages de fiction... Mais pour moi, cela me semblait extrêmement difficile d’écrire dans ce type d’univers. Pour être à la hauteur, il aurait fallu se montrer rudement calé en Histoire, ainsi qu’en littérature populaire du XIXème siècle. L’un de mes blocages provient sans doute du jeu de rôles Château Falkenstein, aux illustrations de couvertures (et certaines intérieures) magnifiques, mais à la mise en place de parties, dans mon souvenir, peu évidente. Il me semble ne jamais être arrivé à faire un seul scénario en tant que maître de jeu. Avec le recul, je me dis que je n’étais peut-être tout simplement pas prêt, mais que la lecture du jeu et les recherches faites à gauche à droite ont pu nourrir, qui sait, la base d’un roman à paraître des années plus tard.

La rédaction d’Émile Delcroix et l’ombre sur Paris débute en 2007, avec pour titre provisoire Paris by gaslight. Deux éléments déclencheurs : la lecture de la nouvelle de Yohan Vasse « Je rêvais des Fays » dans le AOC n°4 et la lecture du dossier jeunesse dans le Présence d’Esprits n°48, avec justement une couverture steampunk à souhait. De ces deux lectures, je tirais beaucoup d’enthousiasme et l’envie de m’atteler à l’écriture d’un roman jeunesse haut en couleur, flamboyant dans le Paris d’un XIXème siècle revisité. Cela faisait suite également à l’achèvement d’un roman très sombre, Retour à Salem, où la couleur privilégiée et le ton étaient surtout le noir, un roman qui m’a pas mal collé aux basques et occupé l’esprit en relecture, réécriture et correction. On y trouvait aussi du rouge sanglant et un éventail de personnages plus ou moins gris sur l’échelle de valeur allant du Bien au Mal. Avec Émile Delcroix, je voulais m’aérer l’esprit avec un texte plus léger, ainsi que me « mettre en danger » en écrivant quelque chose qui m’était un peu étranger, dans un sous-genre qui ne m’était pas familier, pour un public que je ne visais pas habituellement : les ados-adultes... Mais, au bout du compte, je me suis retrouvé à écrire du Fuentealba [rires]. Et au fur et à mesure des versions, je jetai un certain nombre de passerelles avec d’autres de mes textes (notamment ceux du cycle du Sunset Circus).



Pourquoi l’avoir présenté en cycle ?


En février 2008, après avoir terminé et retravaillé le roman, je l’ai envoyé à une dizaine d’éditeurs jeunesse, et ai essuyé autant de refus dans les mois qui ont suivi. Pour moi, le texte était « achevé », mais je sentais bien qu’il pouvait être perçu comme non-publiable par la plupart des éditeurs jeunesse, parce qu’assez dense (beaucoup d’éléments d’univers présentés, ça fuse un peu dans tous les coins) et avec un style pas toujours facilement abordable, comme j’avais essayé de retrouver une plume un peu apprêtée, propre à certains romans du XIXème siècle.
Je fais partie de ces auteurs qui, à tort ou à raison, ont pas mal de difficultés à reprendre un texte une fois achevé, que ce soit de mon propre chef ou sous l’impulsion d’un lecteur/éditeur/rédacteur en chef de fanzines... Je trouvais la démarche de CoCyclics très intéressante et je me disais qu’il serait très enrichissant pour moi, non seulement sur ce roman, mais sur mon écriture en général, de me remettre en question sur un texte long. J’avais eu pas mal de discussions passionnantes avec Lionel Bénard de Borderline (et d’autres personnes gravitant autour de ce fanzine, comme Maxime Le Dain ou Anaël Verdier), sur le métier d’écrivain, sur ce que cela signifiait d’aborder l’écriture d’un point de vue professionnel, en mettant de côté son égo pour aboutir au meilleur texte possible...

Je savais donc qu’il fallait que je franchisse une étape pour progresser et me décider à retravailler un roman sous le regard d’inconnus. Mais je ne me voyais pas reprendre un roman court que j’avais également fini en 2007, Le cortège des fous, car il me semblait trop barré, expérimental et surtout trop personnel, pour supporter de passer par un cycle sans risque d’en sortir dénaturé. En fait, j’étais très content de ce roman parce que je pensais avoir atteint ce que je recherchais, à peu de choses près, ce qui n’était pas le cas d’Émile Delcroix. Pour ce dernier, je sentais bien qu’il y avait encore une certaine « marge de progression ».


Que retires-tu de ce passage du livre en bêta-lecture ?


Qu’Émile Delcroix était en effet bien perfectible ! La bêta-lecture a été l’occasion de remettre à plat l’univers du roman, les interactions des personnages les uns avec les autres, de déterminer vraiment les factions en présence, de clarifier un certain nombre de points de background, de trouver des moyens d’augmenter la tension dramatique et faire en sorte que le lecteur se sente plus impliqué. Même jusqu’à la fin du cycle, j’ai eu l’occasion de traquer d’ultimes incohérences avec l’aide des bêta-lecteurs.

Conteuse et Arnaldus, les alpha-lecteurs, ont appuyé sur un certain nombre de points qui faisaient mal et qui pouvaient déranger le lecteur lambda. Ça a été des moments de doute, de remise en question et d’acceptation pour la plupart des points évoqués. J’ai tâché notamment de réduire la passivité du personnage principal et l’impression qu’il pouvait donner d’être un peu choyé par l’auteur (il y avait toujours quelqu’un pour l’aider, le soutenir, le secourir...). Je ne suis pas revenu, par contre, sur d’autres aspects, comme le rapport du personnage avec les femmes – le fait par exemple, qu’il puisse être amoureux de Floriane, mais que les charmes d’autres filles ne le laissent pas insensibles. L’adolescence est un moment où les hormones sont en ébullition, après tout. J’ai également conservé ce qui était pour moi un pilier de la structure du roman, le fait que l’enjeu du protagoniste change au milieu de l’œuvre, laquelle prend alors une autre direction, après une première « résolution » du nœud de l’histoire.

Je dois dire que les grenouilles qui m’ont suivi sur le cycle ont été particulièrement efficaces et ont su me faire des remarques pertinentes et bien construites, tout en me soutenant lorsque j’avais des petits coups de moins bien, lorsque je flanchais devant la tâche qui m’attendait (et me semblait colossale, dès lors que je devais réécrire un passage).


Comment s’est passée ta recherche d’éditeur ? Stressée ou pas ?


Je suis parti du principe que je devais viser de gros éditeurs. Le cycle avait renforcé ma conviction que ce roman avait un très gros potentiel (certains des bêta-lecteurs n’arrêtaient pas de me le dire, dès que je commençais à montrer le moindre signe d’abattement !) J’étais plutôt confiant, ce qui ne m’empêcha pas d’être assez stressé également, car je plaçai la barre haut et que je n’avais pas vraiment de nom dans le milieu. Ce que je présentais était en effet mon premier roman (même s’il s’agissait en fait du quatrième que j’écrivais, et que j’avais eu deux publications de romans avortées pour cause d’éditeur qui met la clé sous la porte ou de mésentente sur le contrat). Tout reposait donc sur le roman lui-même, d’une part, et la bonne réputation que CoCyclics était en train d’acquérir d’autre part.

Le collectif m’a en effet ouvert des portes qui seraient sans doute restées fermées si le roman n’était pas passé par le cycle. Cela a donc été l’occasion d’approcher des éditeurs connus sur la place comme Xavier Décousus de Gründ ou Stéphane Marsan de Bragelonne, et d’échanger avec eux sur le roman, et plus largement sur la littérature et l’écriture, ce qui ne peut être que très enrichissant dans l’absolu.


Ton livre va sortir chez un éditeur 100% numérique ? Est-ce que beaucoup de choses diffèrent par rapport à l’édition traditionnelle ?

Comptes-tu quand même chercher un éditeur-papier ?


Walrus-books est effectivement un éditeur numérique. Quant à savoir si ça change beaucoup de choses par rapport à l’édition traditionnelle... je te répondrai après usage ! [rires]

Déjà, les dédicaces me laissent dubitatif... Comment fait-on ? Ensuite, le pourcentage prévu pour l’auteur est bien plus important que dans l’édition traditionnelle, ce qui est juste, puisqu’il y a tout un tas d’intermédiaires qui disparaissent avec le numérique. Il est également possible que le roman numérique ait quelques petits plus, le côté « livre augmenté », si cher à l’éditeur... Bon, ça ne sera pas le Kadath préparé par Walrus pour le compte de Mnémos non plus !

Ce que ça change également, que ce soit cet éditeur-là, à la pointe de ce qui se fait en numérique, qui publie Émile Delcroix et l’ombre sur Paris, plutôt qu’un éditeur traditionnel du milieu, c’est que le public visé n’est pas du tout le même. On ne s’adresse pas uniquement aux lecteurs de l’imaginaire.

Ce qui change également, c’est le rapport au livre même comme œuvre littéraire, avant toute chose. Pour certains, il faudrait limite « révérer » l’objet papier (j’adore avoir des bouquins pleins la maison en attendant, mais la dématérialisation peut aussi avoir du bon), certains éditeurs traditionnels agiteront l’épouvantail de la mort du livre, avec une bonne part de mauvaise foi… À mon avis, c’est dans le numérique qu’une nouvelle offre peut se faire, qu’une nouvelle donne peut se jouer. Peut-être que je me trompe. Peut-être que là aussi, on va se retrouver avec un simili-choix rapidement verrouillé, dès lors que les rois de la communication vont nous servir leur soupe livresque insipide (en nous faisant croire qu’un bouquin dispensable est génial à grands renforts de matraquage publicitaire...). Mais pour l’instant en tout cas, j’ai l’impression que le numérique permet à l’éditeur de prendre plus de risques et de publier des textes un peu « différents » (il n’y a qu’à voir le catalogue de Walrus par exemple), tout simplement parce que les coûts pour sortir un livre sont moindres : pas d’impression, pas de stock de livres, pas besoin de s’occuper de la distribution non plus (et donc pas de risque de retours mortifères).

Enfin, un autre point positif à voir, dans l’édition numérique, c’est que les livres ne sont pas obsolètes au bout d’un trimestre (rappelons que la durée de vie d’un livre dans l’édition traditionnelle est de 3 mois, passé ce délai, il est trop vieux, s’il n’a pas trouvé son public, pour rester sur les lutrins et les tables d’expositions)... et pas de pilons ! Jamais !

Pour l’éditeur papier, je me tâte. Je ne suis pas très pressé d’en trouver un, en réalité. Je trouve pour le moins étrange de publier un roman chez deux éditeurs différents… dans la même langue. Mais cela ne veut pas dire que je ne vais pas me retrouver à le faire, d’autant que j’ai déjà des publications de textes « éclatées » prévues (nouvelles en recueil dont certaines seront aussi publiées en anthologies papier chez plusieurs éditeurs).


Que peut-on te souhaiter pour la sortie d’Émile Delcroix ?


Je sens que je ne vais pas être super original, sur ce coup-là… Souhaitez-moi le meilleur ! En fait, j’aimerais arriver à toucher autant un public adolescent (15 ans et plus) qu’adulte, ainsi que je l’avais souhaité au moment de commencer la rédaction du roman. Et accessoirement, que ça me donne toute l’Inspiration nécessaire pour écrire la suite des aventures d’Émile Delcroix !

1 commentaire :

  1. Persévérant M'sieur Jacques :)
    Et tu avais raison !
    (Va falloir qu'on trouve le temps de se boire un godet prochainement avec Max ;) )
    Amitiés
    Lionel

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