mercredi 22 juin 2011

Pas un jour sans une ligne



« 21h, ce dimanche…

Si vous lisez ce document, il est probable qu’un malheur me soit arrivé. Je reçois des pressions de la communauté scientifique et du gouvernement. À dire vrai, je ne crains pas tant pour ma vie, mais pour la découverte révolutionnaire que j’ai faite. Elle doit me survivre. Aidez-moi.

Je suis l’inventeur d’une arme formidable qui va changer la face du monde. Je comprends qu’elle puisse en effrayer certains, mais la vérité ne doit pas être ignorée. Si j’en crois ma théorie, elle serait capable d’éradiquer, une fois pour toute, la démotivation, la fatigue et le découragement… »

Ces quelques lignes sauvées de l’oubli nous en apprennent beaucoup sur les origines du monophrasage. C’est grâce à plusieurs années de travail acharné et à son grand courage que Sytra, grenouille incollable sur l’alphabet grec (ancien, cela va de soi), est parvenue à reconstituer ce merveilleux outil. Devenue très populaire sur CoCyclics, cette démarche a intéressé l'équipe de Tintamarre.

Le monophrasage est une méthode de stimulation efficace pour l’écriture. Je laisse à Sytra le soin de nous expliquer le fonctionnement de cette arme révolutionnaire. « Le principe repose sur un objectif minimal : écrire (au moins) une phrase par jour. Comme c’est très facilement réalisable, je me suis dit que ça me découragerait beaucoup moins vite. Mon but n’étant pas d’avancer rapidement sur mes textes, mais plus d’acquérir une routine d’écriture, c’était suffisant. Et comme il est toujours bien plus facile de tenir une bonne résolution lorsqu’on est plusieurs à relever le même défi, j’ai proposé aux grenouilles que ça tentait de venir me rejoindre dans cette aventure. » Pour mesurer son avancée, il est également utilisé la technique « daily stamp ». « Il s’agit tout simplement d’apposer un tampon sur un calendrier pour chaque jour où l’on a tenu une certaine bonne résolution. Le but est de constituer la plus longue ligne ininterrompue de tampons. »

Pour valider la solidité de cette méthode, l’équipe de Tintamarre a eu recours à toute une batterie de tests. Les cobayes ont été sélectionnés parmi les meilleurs. Nous pouvons nommer les cinq courageuses grenouilles : LHomme au Chapeau, Isaiah, Selsynn, Elikya et Odinéaz (respectivement les sujets L, I, S, E et O).

L’expérience est mise en place un jeudi matin dans un lieu tenu secret. Chaque grenouille est installée sur un nénuphar soigneusement isolé du monde extérieur, pour éviter toute interférence. Des sondes permettent l’enregistrement et l’analyse de la moindre activité des batraciens. Sont notamment mis sous surveillance le taux d’adrénaline, l’activité neuronale et le débit d’encre. La simulation des cycles biologiques se fait par alternance : 12h sous injection de caféine, 12h sous injection de somnifère. En dépit des multiples capteurs qui traversent l’endroit, le milieu simule un nénuphar standard d’écriture.

Durant trois semaines, les cobayes sont amenés à supporter différentes conditions de température, de pression et d’humidité, mais aussi des concentrations variées d’adrénaline ou de somnifère, dans le but d’étalonner les appareils.

À proprement parler, le protocole expérimental débute un mardi matin, après les dernières analyses urinaires. Les sujets sont initiés au monophrasage, grâce à un pré-enregistrement identique pour chacun, expliquant en détail en quoi consiste la méthode. Il s’agit à présent de reprendre les mesures et de les comparer à la période étalon.

Trois semaines plus tard, les résultats sont remarquables et très au-dessus des prévisions. On note que le débit d’encre se répartit plus régulièrement sur la période d’essai et que le taux d’adrénaline reste sur de larges plages bien au dessus du seuil.
Propriété remarquable : le débit d’encre demeure au plus bas pour des températures dépassant les 30°C ou tombant sous les 0°C, cela quelque soit le taux d’humidité et malgré des injections massives de caféine.

Sortis de leur nénuphar expérimental, il est demandé aux cobayes de répondre à un petit questionnaire.

À la question posée : « Avant initiation au monophrasage quelles difficultés rencontriez-vous dans l’écriture ? » :
Le sujet L a répondu que son investissement dans de nombreux projets l’empêche de se concentrer sur son écriture. « Je suis un multi-passionné. Du coup, mes priorités varient. »
Le sujet I a fait part de son découragement et de sa fatigue. « Il y a des jours où j’étais un peu fatigué, je n’avais pas forcément envie de me replonger dans mes scènes et mes personnages. Cette époque-là n’existe plus. »
Le sujet S a répondu qu’elle souffrait de distractions chroniques et de remises en question continuelles. « J’ai souvent envie d’écrire, mais pas tout le temps de me replonger dans l’atmosphère de mon roman. »
Le sujet E a évoqué son manque de motivation. « Pour moi, la difficulté est la suivante : garder la motivation. Quand je me lance sur une nouvelle histoire, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une merveille au début, puis je rencontre des difficultés et je m’essouffle. Je commence à me demander : "À quoi bon, personne ne s’y intéressera". Du coup, j’ai toujours cherché des outils pour me pousser en avant. »
Le sujet O nous a parlé des nombreuses erreurs que l’on fait en commençant l’écriture et de son fragile entrain : « Cet entrain retombe vite comme un soufflet. Ajoutez à ça un baby blues, deux bébés en demande constante, un mari débordé, une maison en rénovation, et vous avez une vision de mon état d’esprit avant que j’adhère au club des tamponnés. Plus le temps passait, plus j’avais du mal à mis remettre car je n’étais plus imprégnée de l’histoire. »

À la question posée : « À quel rythme écriviez-vous après initiation au monophrasage ? » :
Le sujet L a répondu : « Je me suis fixé dix lignes par jour parce que ça permet dans 80% des cas d’aller plus loin. »
Le sujet I a répondu : « Une phrase, c’est insignifiant, ça paraît moins insurmontable et, au final, on s’y fait. Et en général, on écrit plus que son objectif… »
Le sujet S a répondu : « Mon premier objectif de "stamp", c’est d’écrire cent mots par jour. Ce qui correspond à 2-3 paragraphes. En général, ça suffit à faire la distinction et à me forcer d’écrire "un peu plus" que juste une phrase, pour que le texte garde tout de même une unité. Si j’atteins les cent mots, il est rare que je m’y arrête. Et je vais facilement atteindre les quatre cents mots, voire les mille ou plus. »
Le sujet E a répondu : « Le simple fait de constater : "Tout de même, j’ai bien avancé ces derniers temps", me pousse à continuer sur ma lancée. 3 000 sec par jour, correspond à mon véritable rythme. »
Le sujet O a répondu : « C’est impossible pour moi de n’écrire qu’une phrase. En fait, cette phrase par jour est une motivation pour m’y mettre. Dès qu’elle est finie une autre s’enchaine, puis une autre et encore une autre… C’est vraiment l’amorce pour se mettre à l’écriture. »

À la question posée : « Comment ressentez-vous votre écriture après initiation au monophrasage ? » :
Le sujet L a parlé d'un aspect ludique ainsi que des bienfaits de l'endurance sur la concentration : « Daily stamp m’a fait découvrir une façon ludique d’accéder à la régularité. […] Je me rends compte que je reste "dedans" et que c’est plus facile de m’y remettre qu’après une période de six mois d’arrêt. »
Le sujet I a révélé qu’il était plus fouillis qu’auparavant. Cependant : « Le point positif que je retire, c’est l’attention quotidienne à l’écriture. On planifie ce qu’on va écrire le matin, ou alors on le fait de manière totalement impromptue. Mais, en tout cas, le peu de volume permet de réutiliser des temps que l’on considérerait habituellement impropres à l’écriture. De plus, on garde en permanence la création en tête. […] Ça ne remplacera pour moi jamais une bonne session d’écriture, mais ça permet de se maintenir "en forme" et de cultiver son inspiration. C’est un peu comme la "gymnastique de remise en forme" que certaines personnes font le matin ; ça ne remplace pas la pratique d’un vrai sport, mais vous fait profiter de certains des bénéfices que cette pratique pourrait occasionner. »
Le sujet S nous apprend qu’elle est plus efficace dans sa démarche. « Le "Stampage" me force à avancer dans mon intrigue. Et le fait de présenter les nouvelles briques de mon syno, prévues depuis plus ou moins longtemps, m’entraine vraiment dans l’écriture et l’avancée de l’histoire. »
Le sujet E a parlé de l’apport des encouragements et de l'émulation : « Le fait de tamponner apporte un aspect ludique. À chaque fois que j’applique un tampon, je me sens fière. De plus, j’adore contempler mon calendrier et mesurer le chemin parcouru. J’apprécie également les encouragements apportés sur le fil du forum correspondant. Le fait de participer à un défi collectif et de consulter les calendriers des autres me plaît. "Quoi, pas de tampon aujourd’hui ? Essayons au moins d’écrire une phrase." »
Le sujet O constate combien l’exercice lui est nécessaire : « Dernièrement, j’ai eu plus de trois jours de travaux chez moi, avec les gamins au milieu à gérer et le ménage à faire après le carnage du boulot effectué. Du coup je me suis rendu compte que le fait de ne pas écrire joue sur mon moral. Je suis d’une humeur massacrante si je n’écris pas au moins ma phrase du jour… »

À la question posée : « Utilisez-vous d’autres moyens de motivation ? » :
Le sujet L nous a parlé de la communauté des grenouilles : « La découverte de CoCyclics a déjà été un pas de plus vers une plus grande régularité. L’échange avec les sympathiques grenouilles crée une motivation et une émulation que je n’avais pas rencontrées auparavant. […] Je dirais sans doute que c’est l’échange avec des lecteurs qui me motive le plus. »
Le sujet I a évoqué plusieurs autres voies : « En effet, j’ai parfois utilisé la constance du jardinier à cinq cent mots, mais cela marchait moyennement chez moi ; j’ai l’impression que les textes écrits sous constance sont moins bons au premier jet, alors que ceux des Nuits de l’écriture, pris dans le feu infernal de ce genre de marathons, sont mieux. L’action est plus vécue, moins plaquée sur le papier. »
Le sujet S a compté les Nuits de l’écriture et le challenge premier jet, en plus du monophrasage : « Ces trois méthodes sont parfaitement complémentaires, aucun doute là-dessus ! Les Nuits sont un boost parfait mais à dates très particulières (et en plus, la nuit, or je suis une créature presque exclusivement diurne). Le Challenge, lui, permet quelques chose plus en longueur. »
Le sujet E a fait état d’un équivalent papier au calendrier : « Avant les tampons, je notais mes avancées sur mon cahier et je me donnais des objectifs. Je ne le fais plus, mais je continue à remplir un tableau Excel qui récapitule les scènes par chapitre et le nombre de signes correspondant. Il s’agit d’un outil de suivi qui me permet de me situer plus facilement dans mon roman au cours des corrections. »
Le sujet O a avoué s’accorder quelques récompenses : « En complément, une tamponnée, Deidre, a eu l’idée de s’offrir un cadeau dès qu’elle arrivait à 100 points… Eh bien je suis son exemple. »

L’étude se termine par ce propos du sujet I : « À mon sens, une bonne discipline d’écriture, c’est une discipline qui respecte l’auteur. » Le monophrasage s’avère ainsi et de façon incontestable une arme redoutable contre la démotivation scripturale.

Nous demandons aux cobayes de rester vigilants et de nous avertir en cas d’effets secondaires. L’équipe de Tintamarre vous remercie pour votre collaboration et espère la renouveler.

3 commentaires :

  1. J'adopte dès ce soir ! Surtout avec le concept du "cadeau au bout de x temps"

    RépondreSupprimer
  2. Je prends note ! J'avoue que le fait d'avoir un calendrier couvert de tampons grenouille me motive pas mal ^^.

    RépondreSupprimer
  3. Quel article ! Une lecture très agréable. ^^
    Et sinon, je ne peux qu'approuver, je trouve cette méthode très stimulante. Surtout de poser son tampon à chaque réussite.
    (Brownie aime tamponner, oui.)

    RépondreSupprimer