mardi 19 novembre 2013

Un cycle pour faire le deuil d'un premier roman

Il existe tout un imaginaire autour du cycle CoCyclics (qui permet à un auteur de travailler son roman en étant accompagné de bêta-lecteurs, puisqu'il se passe dans un espace réservé à ces seuls bêta-lecteurs). Il est perçu parfois comme trop carré ou trop cadrant et quand on ne le vit pas de l'intérieur, ce n'est pas évident de comprendre comment cela fonctionne exactement.


Ce que nous avons envie de vous dire aujourd'hui, c'est que derrière ce cadre mystérieux (il y a des règles mises en place pour cadrer le cycle, protéger les auteurs, soutenir les bêta-lecteurs et vice-versa), ce dont nous sommes témoins à l'intérieur de CoCyclics, c'est de la profonde humanité qui y existe.

A l'intérieur du forum, à l'abri des regards, les discussions et les questions animent, opposent ou rassemblent les membres. Tous n'ont pas la même vision du cycle, tous ne voient pas l'accompagnement d'un auteur de la même façon, tous ne vivent pas l'écriture ou la bêta-lecture de la même manière. On est loin, très loin, du bloc monolithique que certains pourraient imaginer. Même la finalité du cycle n'est pas vécue de la même manière.

Aucun des romans sortis de cycle ne se ressemble, aucun des auteurs passés en cycle ne se ressemble. Mais tous vivent un projet humain, peu importe ce que devient le roman au terme de cette aventure : publié ? Pas publié ? En attente de publication ? Ou déposé dans un tiroir avec plus ou moins de sérénité ?

Ayaquina est arrivée au bout du cycle avec son premier roman, "Les Gens de l'eau". Elle nous livre ici un témoignage sur ce que le cycle lui apporté et sur le deuil qu'elle a fait de ce premier roman, après tant d'années à travailler dessus. Un deuil après avoir enduré toutes les phases du cycle ? Mais alors, à quoi bon ?

La réponse est dans ces lignes : 
 
 "Je vais commencer par vous dire que lorsque je suis arrivée sur CoCyclics j'avais encore des doutes non pas sur ma capacité à écrire des histoires, mais à écrire un français potable. Ayant deux nationalités et étant née au Portugal (je suis arrivée en France quand j'avais 23 ans) et ayant fait la moitié de mes études en français (jusqu'en troisième puis jusqu'à la fac en portugais) j'écrivais encore un français plein de lusitanismes ou de gallicismes. Aujourd'hui, je mesure combien j'ai évolué et combien je me sens 1000 fois plus à l'aise lorsque je me promène dans la langue française que le jour où j'ai poussé la porte de CoCyclics.
 
Puis est venu le moment où j’ai voulu travailler sur « les Gens de l'eau », mon premier roman, écris pour ma fille qui venait de naître et qui portait en lui une sorte de message jeté à l'eau pour le jour où je ne serais plus là, mais que ma fille pourrait encore me lire. 
Je l'ai soumis pour un cycle. Et là, j'ai été refusée, orientée en têtard*. Bien sûr, j'ai été très déçue, j'avais l'impression que ça remettait en cause ma capacité à devenir écrivain, que ce texte que j'avais cru essentiel pouvait ne pas être compris par d'autres, jugé intéressant ou assez abouti pour mériter même un passage en cycle.
 
J'ai découvert alors, qu'écrire c'était bien plus qu'écrire, c'était prendre en compte une réalité, un public, un public qui n'est pas ma fille, ou alors qui devait absolument transcender cette relation pour pouvoir toucher d'autres personnes. J'ai appris aussi qu'un message trop intime prenait le risque de ne pas toucher les gens qui ne faisaient pas partie de cette intimité.

Après avoir compris que ce refus ne présumait pas de mes qualités dans l'absolu, pas plus qu'il ne déterminait l'avenir de ce roman, j'ai été heureuse de travailler en têtard. J'ai eu la place de comprendre ce qu'était la structure et la force d'un texte : le rythme, l'efficacité de l'intrigue, la visualisation, la caractérisation des personnages, la crédibilité de leurs objectifs, etc.
 
J'ai eu la place pour expérimenter beaucoup de choses, affiner mon style, etc. Puis à la fin, j'ai re-postulé en cycle. J'ai été acceptée. Le travail s'est poursuivi, toujours plus à fond, toujours plus près de ce que je n'aurais jamais osé imaginer faire un jour. Je mesurais l'écart entre ce qui un jour m'avait semblé un bon roman, et tout ce qui me restait encore à apprendre pour qu'il puisse en devenir un.
 
Avant ce travail, je fuyais les scènes d'action, me croyant incapable d'en écrire une qui scotche le lecteur. Mes bêtas m’ont obligé à m’y confronter. Je fuyais les émotions parce que je trouvais ça trop larmoyant, mes bêtas m’ont obligé à les affronter et à trouver mon propre ton. Mes décors étaient vides, je n’aime pas ça les descriptions, mes bêtas ne m’ont pas laissé me vautrer dans la facilité et me détourner du problème. J'ai dû lire, chercher sur internet, chez d’autres auteurs, expérimenter mille fois pour trouver comment dépasser mes limites et être à la hauteur de ce que je voulais transmettre au lecteur, le captiver !

Pendant le cycle, ma mère était malade, et encore une fois, j’ai cédé aux sirènes de l’intimité. Comme je corrigeais beaucoup avec elle (elle adorait les histoires et elle était très bonne en français) je me suis mise inconsciemment à écrire pour elle et elle est devenue mon public. J'écrivais ce qui pouvait la distraire de sa maladie. Mon roman a pris une autre tournure, mais toujours aussi intime. Pourtant, je me suis surpassée techniquement, et je suis sûre que de ce point de vue, il n’a rien à voir.
 
D’ailleurs, j'arrive aujourd'hui à écrire des choses que je n'aurais jamais crues possibles grâce à ce travail. Mais à la fin de mon cycle, j'étais obligée de reconnaitre que les Gens de l'eau est ce genre de roman qui peine à trouver son public. Quelques mois après la fin de mon cycle, j'ai relu mon roman et j'ai décidé de le réécrire une fois encore. Entre la têtard, le cycle, et toutes mes adresses imaginaires (ma mère et ma fille), mon roman me semblait être une sorte patchwork dans lequel je ne me reconnaissait plus et il fallait que je reprenne le projet à zéro pour retrouver son âme.
 
Je savais que maintenant j'avais les moyens de le réecrire autrement. J'aurais dû me dire à ce moment là, qu'il fallait peut-être que je le laisse un peu de côté, le temps que ça refroidisse dans ma tête, mais ce roman me hantait. Il m'empêchait d'aimer mes autres romans, qui pourtant me semblaient bien meilleurs que celui-là. Les Gens de l’eau était comme un premier amour, absolu, plein de cet idéal que l'on attribue aux premières fois.
 
J'ai donc commencé la réécriture. Puis à un moment donné, j'ai calé. Ce roman m'ennuyait, au point où j'avais l'impression d'avoir perdu gout à l'écriture. J'y avais peut-être passé trop de temps, je connaissais l'histoire par cœur, je ne partais plus à l'inconnu. Et puis un miracle s'est produit, j'ai fini un autre roman que j'avais en cours et je me suis mise à l'aimer. Non plus de cet amour aveugle que j'avais eu pour « Les gens de l’eau », mais comme un texte qui a ses qualités et ses défauts. Et puis je me suis remise à avoir envie d'écrire, parce que je sentais que désormais j'en avais les moyens. Je me suis mise à aimer plus le fait d'écrire que le roman en soi.

Vous vous dites peut-être, mais alors le cycle n’a servi à rien ??? 

Tout d’abord, je précise que c’est mon expérience, elle est unique et ne concernera peut-être personne d'autre. Certains ont édité après un cycle, d’autres ont abandonné avant la fin, etc. Mais même si « les Gens de l’eau » ne venait jamais à être édité (pour l’instant, tout est possible, je laisse l’avenir me guider) je dirais que ce cycle a été in-dis-pen-sable ! Il m'a servi à faire le deuil de ce roman, un roman qui m'empêchait d'écrire et m'enfermait dans une sorte d'idéal stérile. J'ai aujourd'hui bien plus qu'un produit fini à envoyer aux éditeurs, j'ai la capacité d'en écrire d’autres, de continuer à m'améliorer sans avoir peur que ce ne soit pas parfait, sans avoir peur de recevoir la critique, parce que désormais, j'ai un regard distancé sur mes textes, parce qu'ils ne sont pas moi, ils n'expriment qu'une partie de moi perfectible et déclinable sous plein d'autres formes et romans. 
C’est l’histoire de la poule aux œufs d’or, mais à l’envers, j'ai peut-être perdu l’œuf, mais j'ai gagné la poule ! C’est bien mieux, non ?"


Merci à Ayaquina pour ce témoignage. 

* Pour plus d'informations sur la bêta-lecture têtard, rendez-vous sur cet article : "La bêta-lecture têtard, qu'est-ce que c'est ?"

3 commentaires :

  1. Merci pour cet article poignant. Au final, ton livre a été un "livre-école", il t'a permis de grandir en tant qu'auteur, c'est l'essentiel. Que ce soit avec ce roman ou un autre, j'ai hâte que tu sois publié, ne lâche rien ;)

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  2. Ton témoignage est très intéressant ! Merci de l'avoir partagé avec nous.

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  3. Je me reconnais aussi un peu dans ce commentaire j'ai eu également un projet qui me tenait à coeur que j'avais nommé la déesse de la Nuit (mais qui à changé de nom depuis. Aujourd'hui je l'ai recommencé. Les personnages ont soit complètement changé soit évolué mais je considère cela non pas comme un recommencement mais plutôt comme une évolution. J'ai juste commencé à écrire le premier jet (qui sera très imparfait je m'en rends bien compte). Mais pour la première fois depuis que j'écris je prends du plaisir et je commence à voir la fin de ce premier tunnel :).

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